Boucler la boucle : un paramédic crée une plateforme pour renouer avec ses patients

(20-06-2025 English version follows the French)
Jonathan Beaupré est paramédic depuis 18 ans. Il parle avec la lucidité de quelqu’un qui a vu trop de collègues quitter — non pas à cause du métier, mais à cause de tout ce qui l’entoure.
« Les gens aiment le travail. Ce qu’ils n’aiment pas, c’est tout le reste. »
Les heures d’attente à l’urgence. L’impression de devenir des gardes-civières. Le silence complet après un appel difficile. Aucune idée de ce qui est arrivé au patient. Aucune reconnaissance. Rien qui nous rappelle pourquoi on fait ce qu’on fait.
Alors Beaupré a décidé de bâtir quelque chose. Pas pour réparer le système. Pour ramener un peu d’humanité à l’intérieur.
Un appel, puis plus rien
Comme beaucoup de paramédics, Beaupré a souvent eu envie de savoir ce qui s’est passé après la remise du patient à l’hôpital. « On transporte quelqu’un, on donne tout ce qu’on peut, puis on ne sait jamais la suite. On est dans le noir total. »
Il se souvient d’un rare moment de lumière : un sondage envoyé par la CTAQ, reçu un an plus tard. « La patiente avait mis 10 sur 10. Elle avait aimé le service. Et là, tu te dis : OK, ça a servi à quelque chose. Mais on reçoit un ou deux sondages par année, à peine. »
Et ces sondages ne sont envoyés qu’aux patients de moins de 65 ans, non couverts par l’aide sociale, qui ont reçu une facture. « On parle d’une infime minorité. »
Beaupré s’est donc posé la vraie question : et si on n’attendait plus que ça tombe du ciel?
Thank A Medic : une plateforme née du terrain
En parallèle de sa carrière, Beaupré a toujours eu un intérêt pour la programmation. « Je n’ai pas de formation formelle en informatique, mais j’ai appris par moi-même. J’ai toujours aimé ça. » Actif au sein du syndicat CTAQ pendant plus de 12 ans, il avait déjà conçu des outils internes, des bases de données, des systèmes pour remplacer les rapports papier.
À l’automne 2024, il s’est lancé dans quelque chose de plus grand : une plateforme indépendante, gratuite pour les paramédics, qui permettrait aux patients de leur envoyer un mot, un retour, un merci.
« Je ne veux pas que ça appartienne à une entreprise ou à un CIUSSS. Je veux que ça reste entre nous. Que ce soit pour les paramédics, peu importe où ils travaillent. »
Le fonctionnement est simple : chaque paramédic inscrit reçoit un code à quatre chiffres, ainsi que des cartes imprimées qu’il peut remettre aux patients de son choix. Sur la carte, un message :
« Si vous le souhaitez, n’hésitez pas à nous tenir informés de l’évolution de votre état. Ce fut un plaisir de vous rencontrer. Prompt rétablissement. »
Le patient (ou un membre de sa famille) peut ensuite se rendre sur le site Web, entrer le code, et laisser un message — anonyme ou identifié. Le paramédic reçoit une notification. Il peut lire, publier, ou supprimer.
Pas un sondage. Pas un piège. Pas un outil de plainte.
Beaupré est très clair là-dessus.
« Ce n’est pas un outil de suivi de qualité. Ce n’est pas fait pour les employeurs. Ce n’est pas une boîte à commentaires négatifs. C’est pour nous. Pour les humains derrière l’uniforme. »
Chaque carte est donnée à la main, à la discrétion du paramédic. Il n’y a pas de distribution systématique. « On ne remettra pas une carte à quelqu’un qui nous a insultés ou qui était en garde policière. On choisit nos moments. »
Et même dans le pire des cas, le paramédic garde toujours le contrôle. « S’il reçoit un message qu’il n’aime pas, il le supprime. Et il disparaît. Aucun suivi. Aucune répercussion. »
Tester l’idée, valider l’impact
Cet été, une vingtaine de paramédics au Québec vont tester la plateforme. Beaupré veut voir si ça fonctionne. Combien de cartes seront données? Combien de patients prendront le temps de répondre?
« Si à Québec, on reçoit en moyenne un retour par année, et que là on en reçoit huit en deux mois… c’est énorme. C’est huit moments de reconnaissance de plus. Huit liens humains qui se recréent. »
Et c’est peut-être aussi huit collègues de moins qui se posent la question : À quoi bon continuer?
« Il manque d’amour dans cette profession-là. Tout le monde nous dit quoi faire. Mais personne ne nous prend en charge. Personne ne dit : vous êtes importants. »
Retrouver du sens, un message à la fois
Beaupré ne cherche pas à faire de l’argent. Il espère que les CIUSSS, les entreprises, les syndicats achèteront les cartes pour les distribuer à leurs membres. Si la plateforme devient rentable, il veut réinvestir dans la communauté : événements, Tour Paramédic Ride, La Vigile.
Mais au-delà du modèle, c’est la démarche qui compte.
« Je suis tanné de voir mes amis partir. Des bons, des passionnés. Et je les comprends. On est épuisés. Mais si on peut se donner un petit boost, un rappel qu’on fait une différence… peut-être qu’on va rester. »
Et ce petit boost, parfois, tient en une phrase.
Un patient qui écrit : Merci. Vous m’avez rassuré quand j’avais peur. Vous avez été là.
Un message qui arrive au début d’un quart de nuit. Une boucle qui se referme. Une preuve que l’intervention n’était pas vaine.
« Ce n’est pas grand-chose. Mais c’est peut-être exactement ce dont on avait besoin. »

Closing the Loop: One Paramedic’s Mission to Bring Patient Voices Back to the Front Line
Jonathan Beaupré has been a paramedic in Quebec for 18 years. He speaks with the quiet conviction of someone who’s watched too many good colleagues walk away — not from the work itself, but from everything that comes with it.
“People love the job,” he says. “What they don’t love is everything around it.”
Long waits at hospital hallways. Being reduced to stretcher guards. The complete silence after a difficult call. No follow-up. No closure. No idea if the care made a difference.
So Beaupré built something. Not to fix the system. But to make it feel human again.
The Call Ends, But the Story Doesn’t
Like many paramedics, Beaupré found it hard to keep going without knowing how things turned out. “You give everything you’ve got. And then you never hear what happened. You’re just left wondering.”
He remembers a rare moment of feedback — a patient survey from CTAQ (the ambulance service he works with) — that landed in his inbox months after the fact. “She gave us ten out of ten, said we were polite, helpful. It lifted me.” But those surveys are only sent to patients under 65 who received a bill. “That’s a tiny fraction of who we care for.”
Beaupré started wondering: What if we didn’t wait for feedback to find us? What if we created a way to invite it?
Thank A Medic: A Platform from the Front Lines
Though he never studied programming, Beaupré had long dabbled in code and systems. As an active union member with CTAQ for over a decade, he’d already built tools to streamline internal reporting and replace paperwork with digital databases.
In late 2024, he took that experience and built something new: an independent, free platform that lets patients thank their paramedics.
“I didn’t want it to belong to a company or a CIUSSS. I wanted it to belong to us.”
Here’s how it works: paramedics sign up and receive a unique four-digit ID along with printed thank-you cards. Each card contains a message and a QR code or link. If a patient — or a family member — wants to follow up, they can visit the site and leave a message.
“If you’d like, feel free to let us know how you’re doing. It was a pleasure to meet you. We wish you a full recovery.”
Patients can choose to stay anonymous or share their name. They can leave private messages for the paramedic, authorize them to be shared with the employer, or allow them to be displayed publicly on a “wall of thanks.” But the paramedic always has the final say.
Not a Survey. Not a Complaint Tool. Not for the System.
Beaupré is emphatic: Thank A Medic is not a backdoor for performance reviews or complaints.
“This platform isn’t for quality assurance. It’s not for management. It’s for us.”
The cards are handed out in person, only when the paramedic feels it’s appropriate — after a meaningful call, a difficult situation, or a personal connection. “You’re not going to give a card to someone who screamed at you,” he says. “It’s about moments that deserve a follow-up.”
The paramedic can delete the message. Instantly. No review. No report. No questions asked.
“It’s a platform built on trust. Between us and the people we help.”
Testing What Matters
This summer, 20 paramedics across Quebec are piloting the platform. Beaupré’s goal is to measure what happens when patient voices are invited back into the loop.
“If we normally get one message per year — and now we get eight in two months? That’s not small. That’s eight reminders that we matter.”
The mobile app, already live on Android and coming soon to iOS, sends push notifications when a new message arrives. “You start your shift, your phone pings: someone wrote to you. That changes your whole mindset.”
Building Reasons to Stay
Beaupré knows Thank A Medic won’t solve everything. But it might be enough to keep some people from walking away.
“There’s no love left in this profession. Everyone tells us what to do, but nobody claims us. We don’t belong to anyone. And yet we keep showing up.”
That’s why the platform is free for paramedics. He hopes funding for the cards will come from ambulance companies, CIUSSSs, or unions. And if there’s ever a surplus, he plans to reinvest in the paramedic community: events, Tour Paramedic Ride, La Vigile.
What started as a way to track patient outcomes became something more: a way to track meaning.
“I’m tired of watching good people leave. This isn’t going to fix it all — but it’s something. A small way to remind ourselves that we matter.”
One message at a time.