Comment soigner l’asystolie institutionnelle

Comment soigner l’asystolie institutionnelle

(03-05-2025 English version follows the French)

Et si on permettait à Urgences-santé de se réinventer — et, ce faisant, de contribuer à transformer l’approche des soins préhospitaliers d’urgence au Québec?

Urgences-santé est une anomalie dans le système préhospitalier québécois. Contrairement à la majorité des services ambulanciers en région, qui sont exploités par des entreprises privées ou des coopératives paramédicales sous contrat, Urgences-santé est un organisme public. Il dessert Montréal et Laval, deux des régions les mieux desservies en infrastructures de santé.

Et pourtant, malgré ce statut unique, Urgences-santé fonctionne exactement comme les autres. Même logique de financement. Même hiérarchie médicale. Même incapacité à s’exprimer publiquement sur les failles du système. Même rythme épuisant pour les équipes de terrain.

Comment expliquer qu’un service public en pleine métropole, financé par les contribuables, avec un accès privilégié aux décideurs et aux institutions, ne soit pas à l’avant-garde de la réforme?

L’ambulance publique… sans pouvoir public

La réponse est simple, et désolante : Urgences-santé est un service public qui n’a pas la marge de manœuvre pour agir comme tel.

Son financement est basé sur le même vieux modèle que dans le reste du Québec : on finance des heures de service, pas des résultats cliniques. Les protocoles de soins ne sont pas élaborés par les paramédics eux-mêmes, mais imposés de manière centralisée par une direction médicale provinciale, souvent déconnectée du terrain. Les paramédics ne sont toujours pas reconnus comme des professionnels de la santé à part entière, car aucune instance — aucun ordre professionnel — ne leur confère une autonomie juridique ou clinique.

Et pire encore : même s’il est public, Urgences-santé n’a ni la liberté ni la culture organisationnelle pour critiquer les angles morts du système. On gère. On encadre. On se conforme.

Un potentiel gaspillé

Pourtant, les occasions de faire mieux ne manquent pas.

Urgences-santé pourrait servir de laboratoire pour tester de nouvelles approches en soins préhospitaliers. Des modèles de soins à domicile pour les aînés. Des équipes d’intervention psychosociale coanimées par paramédics et intervenants en santé mentale. Des unités mobiles de soins palliatifs. Des liens renforcés avec les cliniques de proximité, pour désengorger les urgences. Des protocoles cliniques adaptables basés sur la réalité montréalaise, pas sur des consensus administratifs nationaux.

Mais pour cela, il faudrait que le ministère de la Santé voie Urgences-santé non comme une simple case dans son organigramme, mais comme un outil stratégique d’innovation.

Il faudrait aussi que la direction d’Urgences-santé ait le mandat — et le courage — de jouer ce rôle de pionnier. De consulter ses paramédics comme de véritables partenaires cliniques. De parler publiquement, avec transparence et rigueur, des limites actuelles du système. D’être plus qu’un prestataire : d’être un acteur de changement.

Le statu quo a un prix

Ne rien changer, c’est continuer de gaspiller une opportunité précieuse.

C’est aussi perpétuer une crise silencieuse qui ronge la profession : taux d’attrition élevé, détresse psychologique, sentiment d’impuissance clinique. C’est maintenir une chaîne de soins d’urgence centrée sur le transport à tout prix, plutôt que sur l’intervention adaptée. C’est refuser d’adapter notre système de soins aux besoins d’une population vieillissante, souvent vulnérable, qui a besoin de présence, de suivi, et non seulement de sirènes.

Et si on se donnait les moyens?

Urgences-santé est déjà public. Déjà financé. Déjà structuré. Ce qui lui manque, ce n’est pas une réforme monumentale, mais une série de permissions :

• La permission d’innover.
• La permission d’écouter ses paramédics.
• La permission de construire un système différent.

Ce n’est pas tous les jours qu’un service public a les conditions de devenir un exemple. Mais encore faut-il le vouloir. Et le permettre.

Le Québec n’a pas seulement besoin d’un meilleur système préhospitalier. Il a besoin d’un autre système. Et Urgences-santé pourrait — devrait — être un des endroits où ce changement commence.


How to treat institutional asystole

What if we allowed Urgences-santé to reinvent itself — and, in doing so, help transform Quebec’s approach to emergency prehospital care?

Urgences-santé is an outlier in Quebec’s prehospital care system. Unlike most ambulance services in the province, which are operated by private companies or paramedic cooperatives under contract, Urgences-santé is a public agency. It serves Montreal and Laval — two of the best-equipped regions in terms of healthcare infrastructure.

And yet, despite its unique status, Urgences-santé functions exactly like the rest. Same funding model. Same rigid medical hierarchy. Same inability to speak publicly about systemic shortcomings. Same exhausting pace for frontline crews.

How is it possible that a public service, based in Quebec’s largest metropolitan area, funded by taxpayers and with privileged access to decision-makers and institutions, is not leading the way in reform?

A public EMS system... with no public power

The answer is simple — and disheartening: Urgences-santé is a public service without the leeway to act like one.

Its funding still relies on the same outdated model used across the province: it is paid for service hours, not clinical outcomes. Care protocols are not developed by paramedics themselves, but imposed from above by a centralized provincial medical authority that is often disconnected from the realities on the ground. Paramedics are still not recognized as fully-fledged healthcare professionals, because no governing body — no professional order — grants them legal or clinical autonomy.

Worse still: even though it’s a public agency, Urgences-santé lacks both the freedom and the organizational culture to challenge the system’s blind spots. It manages. It complies. It follows orders.

Wasted potential

And yet, the opportunities to do better are everywhere.

Urgences-santé could serve as a testing ground for new approaches to prehospital care:
• Home-care models for seniors
• Psychosocial response teams co-led by paramedics and mental health workers
• Mobile palliative care units
• Stronger links with community clinics to reduce emergency room overcrowding
• Flexible clinical protocols tailored to Montreal’s reality, not dictated by national administrative consensus

But to make this happen, the Ministry of Health would need to see Urgences-santé not as just another box on an org chart — but as a strategic tool for innovation.

And the leadership at Urgences-santé would need both the mandate — and the courage — to embrace that role. To consult its paramedics as true clinical partners. To speak publicly, with transparency and rigour, about the system’s current limitations. To be more than a service provider — to be a driver of change.

The status quo has a cost

Staying the course means wasting a rare opportunity.

It also means allowing a silent crisis within the profession to persist: high attrition rates, psychological distress, a sense of clinical powerlessness. It means clinging to an emergency response model built around transport at all costs, instead of tailored intervention. It means refusing to adapt the system to the needs of an aging, often vulnerable population — one that needs presence and follow-up, not just sirens.

What if we made it possible?

Urgences-santé is already public. Already funded. Already structured. What it’s missing isn’t a monumental overhaul — it’s a handful of permissions:

• The permission to innovate
• The permission to listen to its paramedics
• The permission to build something different

It’s not every day that a public service finds itself in the right position to become a model. But it only matters if the powers-that-be are willing to make it happen.

Quebec doesn’t just need a better prehospital care system.
It needs a different one.

And Urgences-santé could — and should — be one of the places where that transformation begins.