Congé préventif de l’allaitement. Annulé.

Congé préventif de l’allaitement. Annulé.

(22-05-2025)

On est en 2025. C’est la Semaine des services paramédicaux. Est-ce que j’aurais imaginé écrire une série de textes sur des paramédics-mamans qui allaitent leur bébé et qui se font forcer par Urgences-santé à mettre fin à leur congé préventif pour retourner au travail? Non. Pas du tout. Et pourtant, on y est.


La Dernière Ambulance a obtenu une copie de ce communiqué publié par le syndicat représentant les paramédics d’Urgences-santé.

"Semaine des paramédics : un revers inacceptable pour les droits des femmes et la sécurité des bébés allaités

En cette Semaine des paramédics, le Syndicat du préhospitalier déplore vivement une décision de l’employeur Urgences-santé qui démontre un flagrant manque de considération pour ses travailleuses. En effet, près de 41 femmes paramédics qui allaitent recevront sous peu une lettre les sommant de reprendre leur poste régulier dans un délai de deux mois. Il s’agit d’un recul majeur pour les droits des femmes et la protection de la santé des bébés allaités.

Historique du dossier

Depuis plus de 20 ans, les femmes paramédics d’Urgences-santé bénéficient d’un retrait préventif pendant l’allaitement, permettant d’éviter toute contamination du lait maternel qu’elle soit chimique ou biologique. Cette mesure préventive a toujours été considérée comme essentielle pour protéger les bébés.

Or, cette année, les responsables du programme « Maternité sans danger » de la santé publique ont décidé de revoir les risques biologiques, concluant qu’ils seraient désormais négligeables ou suffisamment contrôlés par les équipements actuels. Cependant, les risques chimiques notamment lors d’exposition à la fumée d’incendie ou à un déversement de produits dangereux demeurent bien réels.

Une application irréaliste du cadre de travail

Malgré cela, l’employeur affirme pouvoir contrôler les risques chimiques en interdisant simplement aux travailleuses d’intervenir dans des « zones chaudes ou tièdes ». Une proposition que le syndicat juge irréaliste et irresponsable, sachant que ces zones sont dynamiques, imprévisibles et difficilement délimitées sur le terrain.

Une attaque aux droits fondamentaux

Le Syndicat du préhospitalier dénonce fermement cette décision et entend utiliser tous les recours possibles afin de préserver la sécurité des enfants allaités et de protéger le droit des femmes à l’allaitement. Forcer une mère à choisir entre son travail et la santé de son bébé représente un recul social inacceptable.

Par ailleurs, cette mesure pourrait aussi nuire aux patients, en allongeant les délais d’intervention lorsque la paramédic doit attendre une relève plutôt que d’intervenir immédiatement.

Conclusion

Ce dossier reflète un manque de respect envers les femmes paramédics et une banalisation des risques pour les nourrissons. Le Syndicat du préhospitalier exige que l’employeur revienne sur cette décision et réinstaure le droit au retrait préventif pour toutes les femmes allaitantes. Restez à l’affût des communications futures pour la suite. Nous pourrions avoir besoin de votre soutien.

  • L’exécutif du syndicat du préhospitalier."

Samantha Corcoran, paramédic chez Urgences-santé, a publié ceci sur sa page Facebook hier soir. Elle a donné la permission à La Dernière Ambulance de republier sa lettre ouverte.

Bonne Semaine des paramédics!

Présentement, je suis en congé préventif pour l’allaitement. C’est un congé prévu pour permettre aux femmes dans mon domaine de travail d’allaiter leur bébé sans avoir à s’inquiéter d’être exposées à des produits chimiques ou des gaz qui pourraient contaminer le lait maternel — et ainsi exposer leur bébé à des substances cancérigènes, entre autres risques.

Ce matin, j’ai reçu un courriel m’informant que je devrais bientôt recevoir une lettre de mon employeur, Urgences-santé, m’annonçant que je devrai retourner au travail dans deux mois. Ce retour anticipé viendrait mettre fin à mon congé d’allaitement, coupant court à ce temps précieux que j’avais planifié pour moi et ma famille.

En tant que personne qui a choisi de travailler dans le domaine préhospitalier, je suis forcée d’accepter plusieurs conditions liées à cette profession. Je dois accepter de devoir choisir entre des quarts de travail de 8, 10 ou 12 heures qui me laissent très peu de temps pour ma famille. Je dois accepter que, la majorité du temps (de nuit dans mon cas), je n’aurai même pas de pause repas et que je devrai avaler ce que je peux, assise dans le camion, entre deux appels, en espérant récupérer un peu d’énergie. Et tout ça, en m’inquiétant constamment de recevoir un appel de mon employeur me demandant pourquoi je ne me suis pas remise de garde pour un autre appel.

Je dois accepter que dans 9 cas sur 10, je ne termine pas mon quart à l’heure et que je ne peux jamais faire de plans après le travail, car rien ne garantit que je pourrai y être. Je dois aussi accepter de travailler un week-end sur deux, ainsi que la majorité des jours fériés, pendant que les autres passent du temps avec leurs proches. Il faut l’admettre : ce métier n’a jamais été conçu pour permettre une vie de famille.

Ce que je refuse d’accepter, c’est que mon employeur me dicte quand je dois arrêter de nourrir mon bébé de 8 mois, qui dépend à 95 % de mon lait maternel (et qui refuse de boire du lait maternisé ou même du lait au biberon), en lui enlevant les nutriments et les vitamines essentiels que seul mon lait peut lui offrir.

Je refuse que quelqu’un me dise : « T’inquiète, on va faire en sorte que tu ne sois pas exposée à des substances chimiques qui pourraient nuire à ton lait », surtout quand cette personne n’a jamais mis les pieds sur le terrain pour constater que c’est impossible d’assurer un environnement sécuritaire quand celui-ci change constamment.

Je refuse d’accepter qu’on s’attende à ce que je trouve une place en garderie en deux mois, quand on sait qu’il faut au minimum un an pour avoir une place — si ce n’est plus.

Et que dire du fait que nous, les femmes qui allaitons, on nous dit que l’employeur n’a aucune obligation de nous fournir un espace sécuritaire, propre et privé pour tirer et conserver notre lait. Même pas fichus d’organiser nos pauses-repas — encore moins de nous accorder le temps nécessaire pour tirer notre lait.

Ce qui se passe en ce moment est une vraie honte. C’est un manque de respect flagrant envers les femmes qui se battent pour offrir le meilleur départ possible à leur bébé. C’est une insulte envers nos droits en tant que femmes et mères, et moi, je refuse qu’on me traite de la sorte.

Bonne Semaine des paramédics, vraiment!


Ce matin, j’ai échangé avec Samantha Corcoran, paramédic chez Urgences-santé, à propos de sa lettre ouverte publiée hier soir. Je lui ai demandé comment elle avait appris le changement de politique, quel impact cette décision a eu sur elle, et pourquoi elle a senti le besoin de s’exprimer publiquement. Je lui ai aussi demandé si quelqu’un d’Urgences-santé l’avait contactée directement.


Voici ses réponses.


"Nous sommes 37 à avoir reçu un courriel hier matin de la part du syndicat pour nous avertir qu’on allait recevoir une lettre par la poste de la part d’Urgences-santé dans la semaine à venir. On nous a dit que cette lettre allait nous informer que notre congé préventif serait interrompu et qu’on devrait retourner au travail dans deux mois. Il semble qu’il y ait eu quelques échanges de courriels entre le représentant syndical, Martin Coulombe, et certaines des paramédics présentement en congé, ce qui a mené à la décision de tenir une réunion Teams avec tout le monde pour discuter des conséquences.

"Personnellement, je suis directement touchée à 100 % par cette décision, car je suis présentement en congé préventif d’allaitement avec mon bébé de 8 mois, qui dépend encore à 95 % de mon lait maternel comme source principale d’alimentation. Mon bébé ne prend ni préparation lactée, ni biberon, donc l’idée de ne pas pouvoir lui fournir les nutriments et les vitamines essentiels à son développement sain est extrêmement stressante — et honnêtement, impensable. Sans parler du fait que j’ai pris la décision d’avoir un enfant en me basant sur les droits auxquels j’ai droit en matière de congé, et j’ai organisé toute la logistique familiale en fonction de ça (garderie, etc.). Et là, on me demande de tout chambouler ce que j’avais planifié pour la prochaine année et de trouver des solutions en deux mois. Toute personne qui connaît un peu le système de garde au Québec sait que c’est irréaliste, et ça me cause un stress et une anxiété énormes.

"Je crois profondément aux droits des femmes et des mères, et je considère que c’est une atteinte grave à ces deux choses. En plus, la décision de couper notre congé et de remettre en question nos droits en tant que mères allaitantes a été prise par un homme, assis derrière un bureau, qui n’a aucune idée de ce que ça représente, allaiter, quand on travaille comme paramédic sur le terrain.

"À ce jour, seules des nouvelles du syndicat nous ont été transmises concernant les prochaines étapes. Personne d’autre chez Urgences-santé ne m’a contactée personnellement, ni aucune des autres mères à ma connaissance.

"L’idée de devoir laisser mon bébé se débrouiller seule, bien avant qu’elle soit prête, me bouleverse et me secoue profondément.

"On entend beaucoup parler de la perte des droits des femmes en ce qui concerne leur corps aux États-Unis en ce moment, mais le fait que ça se passe ici même, dans notre propre cour, et que ce soit Urgences-santé qui en soit responsable, c’est carrément révoltant. Le manque total de compassion et le refus catégorique de prendre du recul pour voir l’ensemble de la situation, c’est écoeurant. Et pour être bien honnête, si on me force à choisir entre mon enfant et mon travail, la décision est facile à prendre. Mon enfant passera toujours en premier."


La Dernière Ambulance s'est entretenue avec une autre maman paramédic qui sera obligée de mettre fin à son congé préventif et de retourner au service actif à la suite d'un changement de politique chez Urgences-santé, l'organisation ambulancière qui dessert Montréal et Laval.

"Comment tu veux qu’on réorganise nos vies en si peu de temps? Ma place en garderie est pas avant septembre 2026. Faut que je trouve une solution avec mes parents ou qu’on essaie de jongler avec nos horaires. Ils nous donnent deux mois pour virer nos vies à l’envers, mais ils comprennent pas que ça peut prendre un an trouver une place en garderie. Moi, je suis chanceuse — j’ai une amie qui a une garderie, donc j’ai une place. Mais pour les autres mères, ça va être catastrophique. Il y en a qui vont juste devoir rester à la maison sans salaire.

Honnêtement, oui — j’ai choisi de travailler pour Urgences-santé justement à cause de cette politique-là. J’avais d’autres options, mais eux offrent pas ce genre de congé. Ces politiques-là, ça compte quand tu prévois avoir des enfants.

C’est choquant qu’en 2025, on soit encore là-dedans. Quand je suis entrée dans le service, les critères de contamination pour avoir un retrait préventif comprenaient les risques biologiques, chimiques, et les contacts liquide-à-liquide. Maintenant, ils ont réduit ça juste aux produits chimiques. C’est ça qui pousse ce changement-là. On a rien changé, c’est le gouvernement.

Mais là, Urgences-santé dit : « On peut garantir que vous serez pas en contact avec des produits chimiques. » Vraiment?

Pis si on est envoyées sur un feu? Si un pompier est blessé et en arrêt cardiaque? On est supposées refuser de le soigner tant qu’il est pas décontaminé? C’est pas réaliste, voyons donc.

Personnellement, ce changement-là veut dire que mon congé et ma période d’allaitement vont être plus courts. Mais pour d’autres, c’est pire. Il y en a qui ont donné leur congé parental à leur conjoint, et là elles vont devoir retourner travailler quand leur bébé a à peine cinq mois.

Pis c’est plus qu’un congé écourté. C’est se faire dire combien de temps on a le droit d’allaiter. C’est ça qui est tordu. On est forcées de choisir : soit on donne un lait possiblement contaminé à notre bébé, soit on arrête d’allaiter parce que le boss veut qu’on retourne sur la route.

Pis même pour tirer notre lait, il y a zéro support. Ils nous ont littéralement dit qu’on pouvait le faire à l’arrière de l’ambulance. Pas de frigo, pas d’endroit privé — juste « faites-le dans le truck ». Faut qu’on traîne des glacières pis des ice packs pour gérer ça en plein shift?

Pis c’est pas toutes les mères qui tirent leur lait. Y’a des bébés qui prennent pas le biberon. Pis tirer son lait, ça coûte cher. Pourquoi on devrait investir dans tout cet équipement-là juste parce que notre employeur veut plus soutenir l’allaitement?

Quand mon bébé était aux soins intensifs néonataux, fallait que je tire mon lait — c’est un travail à temps plein. Tu dois tout laver, tout stériliser, chaque fois. Je vois pas comment ils s’attendent à ce qu’on fasse ça entre deux appels. On est même pas capables de manger à l’heure.

Ils disent qu’on peut tirer notre lait entre les appels, mais après ça, on se fait envoyer à Québec ou Dieu sait où, pis il reste plus de temps. Ça fait pas de sens.
La grosse bataille en ce moment, c’est sur la contamination du lait. Si ça passe, la prochaine étape, ça va être de se battre pour avoir du temps protégé pis un espace pour tirer notre lait.

Je comprends pas que ce soit pas encore dans les nouvelles. J’imagine que ça s’en vient. Pis le timing — pendant la Semaine des paramédics — c’est carrément insultant.

Ils répètent que ça touche juste une petite minorité. Mais ces femmes-là ont des familles, des conjoints, pis y’a des répercussions bien au-delà d’elles seules.

Le changement vient de la Santé publique, mais c’est chaque organisation qui décide si elle l’applique ou pas. Urgences-santé a choisi de l’appliquer comme ça. Pis ils ont même pas d’alternatives à nous offrir — pas de vrais postes. Ils vont nous placer où, les 41 paramédics?

Pis c’est ça qui est le plus frustrant. On manque de monde. On a besoin de garder nos jeunes paramédics. Pis beaucoup d’entre nous, on est des femmes en âge d’avoir des enfants. Pis leur réponse, c’est… rendre ça plus difficile d’en avoir?

Là, on est en attente. Je sais pas si ce nouveau règlement va vraiment passer. Mais dans le groupe de discussion, plusieurs filles disent que si ça passe, elles démissionnent. Ou elles arrêtent d’allaiter parce qu’elles veulent pas vivre ça dans le camion.

L’OMS recommande deux ans d’allaitement. Moi, je prévoyais faire 18 mois. Là, ça va sûrement être un an max. Pis même ça, ça va être dur.

Ils vont dire : « On oblige personne à arrêter d’allaiter — on les accommode juste pas. » Mais si tu garantis pas un endroit propre et privé, pis que tu donnes pas de temps protégé, ben tu les forces pareil.

C’est pas logistiquement faisable de tirer son lait comme ça sur la route. Il faudrait retourner à la base après chaque appel juste pour exprimer, stériliser, pis stocker le lait. C’est absurde. On ferait à peine deux appels par quart.

On dirait que tout ça a été décidé par un gars, tout seul, sur un coup de tête, sans penser aux conséquences.

Pis là, on court partout — garderie, allaitement, organisation familiale, tout est à refaire. On avait tout planifié, pis là, faut tout recommencer."