Déploiement dynamique : entre théorie et terrain : Partie 2

Nomades
English version follows the French
19-07-2025:
Partie 2 :
À propos de cette série
Ce texte fait partie d’une série de six, publiée sur une période de six semaines, consacrée à la répartition médicale d’urgence et aux mécanismes parfois invisibles du déploiement dynamique. Chaque semaine, nous examinons un aspect de ce système tel qu’il est censé fonctionner — dans un monde idéal — et tel qu’il fonctionne réellement, sur le terrain comme dans les Centres de communication santé.
De la modélisation algorithmique aux réalités vécues par les répartiteurs et les paramedics, cette série s’intéresse à l’écart entre les promesses d’efficacité et les conséquences humaines de leur mise en œuvre. Peut-être que cet écart n’est pas si grand qu’il ne puisse être comblé. Cette série proposera des pistes de solution, en plus d’examiner les critiques formulées à l’égard du modèle actuel.
Le choc des cultures : de Montréal à Baltimore
Quand j’ai quitté Montréal pour m’installer à Baltimore afin d’y poursuivre des études supérieures en soins de santé d’urgence, mes collègues du SPU m’ont organisé un souper BBQ d’adieu. Ils m’ont souhaité bonne chance dans une ville où les paramedics en soins avancés jouaient un rôle central dans le système d’urgence, et où des hélicoptères ambulanciers transportaient directement les patients critiques vers des centres de traumatologie à la fine pointe.
Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que parmi toutes les expériences marquantes que Baltimore allait m’offrir, l’une des plus inattendues — et des plus réjouissantes — allait être… l’accès régulier à ma propre toilette semi-privée.
En tant que membre de l’équipe de pompiers et de paramedics de la Station 32 du comté de Baltimore, je travaillais dans une caserne moderne et propre, équipée d’éviers, de douches, et surtout… de vraies toilettes.
Nomade sanitaire à Montréal
À Montréal, dans un système de gestion dynamique, j’avais appris à vivre comme un nomade sanitaire. Dans ce modèle, les ambulances se déplacent sans arrêt d’un point d’attente à un autre, dans l’espoir de se trouver assez près du prochain appel critique pour faire une différence.
Ces points d’attente sont stratégiquement choisis : accès rapide aux artères, densité de population… et, bien souvent, la présence d’un café rapide. On blaguait en disant que si notre point d’attente ne se trouvait pas déjà devant un Tim Hortons, un Starbucks ou un Dunkin’, ce n’était qu’une question de temps.
Ces établissements nous offraient non seulement du café correct et des options pas toujours santé, mais surtout un accès 24/7 à des toilettes — des toilettes partagées avec le monde entier.
Guidé par l’un de mes partenaires, je m’étais fabriqué un petit kit de nettoyage de toilette que je traînais dans mon sac de travail. Je pouvais débarquer n’importe où, et en quelques minutes, transformer la salle de bain en lieu décent, parfois même parfumé.
Je me souviens de quelques clients qui sortaient de la salle de bain après moi, faisaient la file, et disaient à voix haute : « Wow. Cette salle de bain-là était impeccable. Et ça sentait bon, en plus. » Je me suis toujours demandé si les gestionnaires des lieux se questionnaient sur les compliments inattendus envers leurs toilettes pourtant pas encore nettoyées pour la journée.
J’ai toujours pensé que ce serait un geste fort si les chaînes de restauration rapide mettaient en place des toilettes réservées aux services d’urgence — une petite façon de reconnaître la contribution des paramedics, pompiers et policiers à la sécurité de la communauté.
Au fil du temps, j’ai bâti un atlas mental des meilleures toilettes publiques. Il y avait la salle de bain des cadres chez Revenu Québec, au Complexe Desjardins — toujours vide, toujours propre, surtout en dehors des heures de bureau. Un samedi matin, un concierge m’a croisé à la sortie. Il m’a souri : « Content de voir qu’un contribuable profite enfin de ces installations. »
Mais ma préférée de toutes, c’était au troisième étage de l’Institut neurologique de Montréal, juste en face du l'ancien Royal Vic. On amenait un patient à l’urgence, puis si j’avais besoin, je traversais et j’allais profiter de la toilette la plus propre du royaume. Le personnel d’entretien de l’INM comprenait la relation entre un utilisateur de toilette et son environnement. Ils comprenaient la sainteté de la porcelaine.
La Maison EMS
À Côte Saint-Luc EMS, on avait nos propres douches et plusieurs salles de bain. On invitait les équipes d’Urgences-santé à venir stationner leur ambulance chez nous — ce qu’on appelait affectueusement la Maison EMS — pour qu’elles puissent, elles aussi, profiter d’un petit coin de porcelaine à elles.
Ça peut sembler contre-intuitif : des premiers répondants municipaux qui ouvrent leurs portes à des paramédics gérées par une autre organisation. Mais quand ton objectif principal, c’est de bien servir ta communauté, tu essaies de rapprocher le meilleur niveau de soins possible des gens qui en ont besoin. Ce n’est pas un concept si compliqué à comprendre. Et pourtant… à l’époque, les superviseurs d’Urgences-santé ont mis fin à la pratique. Il ne fallait surtout pas que quelqu’un commence à se sentir trop à la maison.
Ce genre de moment soulève une question simple, mais fondamentale : qu’est-ce qui fait qu’un système est un système? Si on veut que le déploiement dynamique fonctionne, il faut d’abord que l’écosystème de base repose sur des pièces interchangeables, compatibles — mais aussi sur un impératif moral : celui de reconnaître que tous ceux et celles qui travaillent sur la ligne de front font partie intégrante de ce système.
Un peu plus qu’une toilette
Et puis, il y a eu Baltimore. Là où nettoyer sa propre toilette faisait partie de la routine, et où avoir accès à un vrai lieu d’intimité n’était pas un luxe. Bien sûr, quand la sirène partait en pleine pause, il y avait parfois un moment de panique — mais c’était un petit prix à payer pour pouvoir s’asseoir en paix.
Cela dit, le système de Baltimore n’était pas sans défis. Il nous arrivait souvent de commencer notre quart dans notre secteur principal, puis de transporter un patient vers un hôpital plus central. Et une fois l’appel terminé, dès que nous nous annoncions disponibles, on nous affectait à un appel dans le secteur où nous nous trouvions — simplement parce que nous étions les plus proches. C’est ainsi que, plus d’une fois, j’ai exploré les coins les plus intérieurs de Baltimore, enchaînant les appels toujours plus loin de notre caserne d’origine.
La grande différence, c’est que même loin de notre secteur, on se sentait toujours comme faisant partie intégrante de la communauté qu’on servait — qu’il s’agisse d’un quartier défavorisé ou d’une banlieue cossue. Le sentiment d’utilité, de respect, d’appartenance, ne disparaissait jamais.
À suivre…
Dans un système où les humains deviennent mobiles avant même que les besoins le soient, il est facile d’oublier l’essentiel : la dignité, le confort, le droit de respirer entre deux appels. Le déploiement dynamique promet de sauver des minutes. Mais à quel coût humain?
Dans la prochaine partie, nous parlerons de connaissance du territoire — ce que les cartes ne montrent pas, ce que l’algorithme ignore, mais que les paramedics, répartiteurs et répartitrices savent de mémoire.
Vos commentaires sont les bienvenus.
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : newman.hal@gmail.com.
Part 2 of the Dynamic Deployment Series
Nomads
About this series
This article is part of a six-part weekly series on emergency medical dispatching and the often-invisible mechanics of dynamic deployment.
Each week, we examine one facet of the system — how it’s supposed to function in theory, and how it actually works in the field and in health communication centres.
From algorithmic modeling to the lived realities of dispatchers and paramedics, this series investigates the growing gap between the promises of efficiency and the human consequences of implementation.
Maybe that gap isn’t so wide it can’t be bridged. Alongside critical analysis, this series will propose potential solutions.
Culture Shock: From Montreal to Baltimore
When I left Montreal to pursue graduate studies in emergency health care in Baltimore, my EMS colleagues threw me a backyard BBQ to say goodbye. They wished me luck in a city where advanced care paramedics played a central role in emergency response, and where medevac helicopters flew the most critical patients straight to cutting-edge trauma centres.
What they didn’t know was that, of all the powerful experiences Baltimore had in store for me, one of the most unexpected — and most satisfying — would be regular access to my very own semi-private bathroom.
As a member of the firefighter-paramedic team at Station 32 in Baltimore County, I worked out of a clean, modern firehall equipped with sinks, showers — and real toilets.
Bathroom Nomads in Montreal
In Montreal’s dynamic deployment model, I had learned to live like a bathroom nomad. In this model, ambulances constantly move from one standby point to another, hoping to be close enough to the next critical call to make a difference.
Those standby points are chosen strategically: quick access to major arteries, population density — and, often enough, proximity to a fast-food outlet. We used to joke that if our next post wasn’t already outside a Tim Hortons, Starbucks, or Dunkin’, it was only a matter of time.
Those places gave us decent-enough coffee and not-always-healthy snacks — but more importantly, they gave us 24/7 access to bathrooms. Public bathrooms, shared with the entire world.
Following the lead of one of my partners, I put together a little toilet-cleaning kit that I kept in my duty bag. I could land anywhere, anywhere at all, and in just a few minutes, transform a restroom into something presentable — sometimes even pleasantly scented.
I remember a few customers stepping out of the bathroom after me, turning to the line behind them, and saying out loud: “Wow. That washroom was spotless. And it smelled amazing.”
I always wondered if the managers ever stopped to question the sudden praise for bathrooms that hadn’t yet been cleaned that day.
I’ve long thought it would be a powerful gesture if fast-food chains offered designated washrooms for emergency services — a small way to recognize the contributions of paramedics, firefighters, and police officers to public safety.
Over time, I built a mental map of the city’s best public bathrooms. There was the executive washroom at Revenu Québec in the Complexe Desjardins — always empty, always clean, especially after hours. One Saturday morning, a janitor saw me coming out and smiled: "Nice to see a taxpayer finally getting some use out of those facilities."
But my favourite of all time? Third floor, Montreal Neurological Institute, right across from the old Royal Vic. After we dropped off a patient at the ER, if I needed to, I’d slip across and enjoy the cleanest washroom in the city. The cleaning staff at the Neuro understood the sacred bond between a person and their porcelain.
The EMS House
At Côte Saint-Luc EMS, we had our own showers and multiple bathrooms. We used to invite Urgences-santé crews to park their ambulances at our base — affectionately known as the EMS House — so they could have access to a private bathroom too.
It might sound counterintuitive: first responders from a municipal service offering shelter to paramedics from a completely different organization. But when your primary goal is serving your community well, you try to bring the best care as close as possible to the people who need it. It’s not a complicated idea to understand. And yet… at the time, Urgences-santé supervisors shut it down. God forbid someone started feeling too at home.
Which brings us back to a simple but fundamental question: What makes a system a system? If we want dynamic deployment to work, we need to start by ensuring the base ecosystem is built on interchangeable, compatible parts — but also on a moral imperative: to recognize that everyone on the front lines is an integral part of that system.
More Than Just a Toilet
And then there was Baltimore. A place where cleaning your own toilet was part of the routine, and where access to a real private space wasn’t a luxury.
Sure, if the siren went off in the middle of a bathroom break, there might be a moment of panic — but that was a small price to pay for a chance to sit in peace.
That said, Baltimore’s system had its challenges. We’d often start our shift in our home sector, then transport a patient to a more central hospital. And the moment we cleared that call and reported available, we’d get hit with another call — right in that area — simply because we were closest.
That’s how I ended up exploring the city’s inner corners, working call after call, further and further from our home base.
But here’s the big difference: even when we were far from home, we still felt like part of the community we were serving — whether that was a rough neighbourhood or a quiet suburb. That sense of usefulness, of respect, of belonging — it never left.
To Be Continued…
In a system where humans are made mobile before needs even arise, it’s easy to forget the basics: dignity, comfort, the right to breathe between calls.
Dynamic deployment promises to save minutes. But at what human cost?
In the next installment, we’ll explore the importance of local knowledge — what maps don’t show, what the algorithm doesn’t know, but what paramedics and dispatchers remember by heart.
Your comments are welcome.
You can write to me directly via: newman.hal@gmail.com