Déploiement dynamique : Partie 4 : « Tous les autres systèmes qu’on a vus étaient fragmentés »

Déploiement dynamique : Partie 4 : « Tous les autres systèmes qu’on a vus étaient fragmentés »

03-08-2025 English version follows the French.

Cet article s’inscrit dans notre série sur la déploiement dynamique. Que se passe-t-il lorsqu’un modèle de répartition dynamique n’est pas simplement implanté dans une région, mais à l’échelle d’un pays entier ? En Israël, c’est exactement ce qui s’est produit. Le résultat : un des systèmes médicaux d’urgence les plus intégrés et visionnaires au monde.

En chiffres :
À noter : L’ensemble de l’État d’Israël couvre à peu près la même superficie que la région de Bas-Saint-Laurent — mais avec 9,8 millions d’habitants. Superficie: environ 22 000 km2
10 régions couvrant l’ensemble du pays
Environ 1 300 ambulances
600 Medicycles (motos médicales)
3 200 employés
30 000 bénévoles
6 000 défibrillateurs déployés
3 millions d’appels par an (soit un appel toutes les 10,8 secondes)
Un véhicule d’urgence est dépêché toutes les 24 secondes
Répartition nationale des soins préhospitaliers : centralisée par le Magen David Adom (MDA)


Tout a commencé avec des missiles. Lors de la guerre du Liban de 2006, le front intérieur israélien est devenu le champ de bataille. Des villes comme Haïfa ont été touchées par des attaques de roquettes pour la première fois, exposant les failles du système de répartition des services médicaux d'urgence.

« On s’est retrouvés à revenir au papier et au crayon », se souvient Ido Rosenblat, chef de l’information (CIO) au sein du Magen David Adom (MDA), le service médical d'urgence national d’Israël. « Notre système GPS fonctionnait bien pour les appels de routine. Mais il ne pouvait pas gérer des incidents multiples ou à victimes multiples. »

Le parcours de Rosenblat au sein du MDA est aussi intégré que le système qu’il a contribué à bâtir. Il a commencé comme bénévole au secondaire dans le cadre d’un programme national de service communautaire. Après son service militaire, il est revenu comme paramédic à temps plein, gravissant les échelons — répartiteur, paramédic, formateur — jusqu’à rejoindre l’équipe de direction. Aujourd’hui, en plus de son rôle de CIO, il continue d’exercer comme paramédic de soins avancés à bord d’un hélicoptère et enseigne aux futures cohortes.

Après la guerre du Liban, la direction du MDA a confié à une petite équipe de paramédics, techniciens et répartiteurs un mandat audacieux : trouver ou développer un système capable de gérer en temps réel des situations d'urgence à grande échelle.

« On a regardé en Europe et aux États-Unis », raconte Rosenblat. « On n’a rien trouvé qui convenait. Alors on a décidé de le construire nous-mêmes. »
Ce qu’ils ont créé, c’est le système de contrôle MDANet. Lancé en 2010 et continuellement amélioré depuis, il s’agit de l’un des systèmes de répartition les plus intégrés et prédictifs au monde. Il combine répartition assistée par ordinateur (CAD), systèmes d'information géographique (SIG), communications en temps réel et apprentissage automatique dans une seule plateforme.

« Tous les autres systèmes qu’on a vus étaient fragmentés », dit Rosenblat. « Un logiciel pour les appels, un autre pour la collecte de données, un autre pour la cartographie, un autre pour les tablettes mobiles. Une appli ici, un tableau de bord là. Et rien ne se parle. On s’est dit : ce n’est pas comme ça que les soins d'urgence devraient fonctionner. »

MDANet, au contraire, est unifié. Les répartiteurs répondent aux appels, accèdent aux cartes SIG, voient en temps réel les unités disponibles, lancent des missions, envoient et reçoivent photos et vidéos chiffrées — tout cela à partir d’une seule interface. Le système permet les appels vidéo depuis les scènes d’urgence depuis 2015.

« Toute personne en Israël peut faire un appel vidéo avec nos répartiteurs », explique Rosenblat. « On reçoit des photos de scènes de traumatisme, de brûlures, d’événements à victimes multiples. Ça fait partie du processus d’appel. Voir ce que voit l’appelant, ça change tout. »

Le système va encore plus loin.

Pour soutenir son modèle prédictif, MDANet divise le pays en une grille de zones hexagonales d’environ 1,6 km chacune. « C’était logique, autant sur le plan géographique qu’opérationnel », dit Rosenblat. « En milieu urbain, cette résolution permet de prédire et d’agir avec précision. En région, ça nous aide à repérer les zones mal desservies. »

Ces hexagones deviennent l’unité de base de la couverture prédictive, permettant au système de détecter les lacunes et d’anticiper où les prochains appels urgents risquent de survenir.

À partir de données historiques mises à jour toutes les deux minutes, le système prédit où la prochaine urgence est la plus probable. Si une zone est mal couverte, le système déploie de manière préventive l’unité disponible la plus proche — pas nécessairement une ambulance — pour s’y positionner.

« On appelle ça de la répartition prédictive », dit Rosenblat. « Le système analyse les données toutes les deux minutes et se demande : ‘Y a-t-il un risque élevé qu’un incident grave survienne ici dans les 15 prochaines minutes ?’ Si oui, il déplace une unité. »

« Dans plus de 92 % des cas », affirme Rosenblat, « un appel survient peu après ce déploiement. On n’a rien eu à faire. Le système savait. »

Ce système a été mis à l’épreuve dans des contextes extrêmes. Lors d’une frappe de missile, 220 ambulances ont été déployées sur un vaste territoire. « C’était un seul incident », dit Rosenblat, « mais réparti sur des dizaines d’endroits. Le système a tout géré — priorisation, acheminement, destinations hospitalières, vue d’ensemble nationale. »

« Je ne connais aucun autre système capable de faire ça », ajoute-t-il. « Pas sans chaos. Pas sans retards. On a été rapides, efficaces et précis — parce qu’on a fait confiance à la technologie. »

Le plus grand défi n’était pas technique, mais humain. Il a fallu convaincre des répartiteurs et des paramédics chevronnés de faire confiance à l’algorithme. Mais avec les années et les données, le système a fait ses preuves. Les opérateurs peuvent encore passer outre, mais ils le font rarement.

« Au début, ils disaient : ‘Ça n’a pas de sens. Pourquoi envoyer cette unité-là ?’ » se souvient Rosenblat. « On leur a donné le pouvoir d’annuler la décision. Et ensuite, on leur a montré les chiffres. Avec le temps, ils ont vu que les temps de réponse proposés par le système étaient souvent plus courts que les leurs. »

Et le système apprend. En continu.

« On lui a enseigné les règles de notre pays », dit-il. « Les routes à péage, les frontières, les limites de temps de trajet. Il calcule tellement plus, tellement plus vite qu’un humain. »

Ce même système fonctionne maintenant dans un tout autre contexte : le sud de la Floride. Hatzalah South Florida — un service médical d’urgence bénévole — a adopté une version allégée et infonuagique de MDANet pour gérer ses opérations de répartition dans les comtés de Miami-Dade et de Broward. « Vu notre relation étroite [avec le MDA], c’était logique d’adopter leur technologie et d’importer ces innovations ici », a déclaré Joseph Dahan, directeur de l’organisation.

« C’est le même système », souligne Rosenblat. « Juste moins d’unités. Mais il fonctionne. »

Pourrait-il fonctionner au Québec ? Contrairement à Israël, où le MDA est vu comme essentiel à la sécurité nationale, le réseau québécois est éclaté : un système pour les appels, un autre pour la cartographie, un autre pour les ambulances — sans interface partagée.

« En Israël, tout le monde comprend que le MDA est essentiel », dit Rosenblat. « Ça fait partie de notre identité. On ne peut pas protéger une population si on ne protège pas notre système d’intervention. »
« Je ne veux pas comparer », ajoute-t-il avec diplomatie. « Mais je veux que les gens sachent ce qui est possible. »

Avec la montée des catastrophes climatiques, des tensions géopolitiques et des surcharges du système de santé, un système de répartition intelligent, intégré et proactif n’est plus un luxe. C’est une urgence.

Et quelque part dans le monde, il existe déjà.


Dynamic Deployment Series, Part 4 - "Every other system we looked at was fragmented.."

This article is part of our ongoing series on Dynamic Deployment. What happens when a dynamic dispatch model isn’t just applied to a single region—but becomes the national standard? In Israel, that’s exactly what happened. The result is one of the most unified and forward-looking emergency medical systems in the world.

At a Glance: The entire State of Israel is roughly the same size as Quebec’s Bas-Saint-Laurent region —but with 9.8 million people. Land mass: Approximately 22,000 square kilometres.

  • 10 regions covering the entire country
  • Approximately 1,300 ambulances
  • 600 Medicycles (motorcycle-based EMS units)
  • 3,200 employees
  • 30,000 volunteers
  • 6,000 public defibrillators
  • 3 million calls annually (one every 10.8 seconds)
  • An emergency vehicle is dispatched every 24 seconds
  • Nationwide EMS dispatch: centrally coordinated by Magen David Adom (MDA)

It began with missiles. During the 2006 Lebanon war, Israel's homefront became the frontline. Cities like Haifa were struck by rocket attacks for the first time, exposing deep vulnerabilities in the country's emergency medical dispatch system. "We found ourselves going back to pen and paper," recalls Ido Rosenblat, Chief Information Officer (CIO) of Magen David Adom (MDA), Israel's national emergency medical service. "Our GPS-based system was great for routine calls. But it couldn't handle multi-scene, multi-casualty incidents."

Rosenblat’s journey through MDA is as integrated as the system he helped build. He began as a high school student volunteer, part of a national program that encourages teens to give back through community service. After his military service, he returned to MDA as a full-time medic, working his way through the ranks—as a dispatcher, paramedic, and instructor—before joining the leadership team. Today, in addition to serving as CIO, he remains an active advanced care paramedic, flying missions aboard MDA’s helicopters and teaching the next generation of paramedics.

In the aftermath of the Lebanon war, MDA leadership gave a small team of paramedics, medics, and dispatchers a bold mandate: find or build a system that could handle large-scale emergencies in real time. "We looked in Europe and the United States," Rosenblat says. "We didn't find what we needed. So, we decided to build it ourselves."

What they built is known internally as the MDANet Control System. Launched in 2010 and continuously upgraded since, it is one of the most integrated and predictive dispatch systems in the world. It combines CAD, GIS, real-time communication, and machine learning into a single platform.

"Every other system we looked at was fragmented," says Rosenblat. "One software for taking calls. Another for logging data. A separate GIS. Another system for mobile tablets. An app here, a dashboard there. And they barely talk to each other. We said, 'This is not how emergency care should work.'"

In contrast, MDANet is unified. Dispatchers answer calls, access GIS data, view real-time unit locations, launch missions, and send encrypted video or photos to and from callers—all from within a single interface. The system has supported live video from emergency scenes since 2015.

"Every person in Israel can FaceTime with our dispatchers," Rosenblat explains. "We receive photos from trauma scenes, from burns, from mass casualty events. It’s part of our call flow. You can see what the dispatcher sees, and that changes everything."

The system goes even further.

To support its predictive model, MDANet divides the country into a grid of hexagonal zones, each about one mile across. "It made sense geographically and operationally," Rosenblat explains. "In urban areas, one mile gives you enough resolution to predict and act. In rural areas, it helps us spot gaps." These hexagons become the basic unit of predictive coverage, allowing the system to flag which areas are under-served and where incidents are statistically likely to occur next.

Using historical call data updated every two minutes, it predicts where the next emergency is likely to happen. If it detects a gap in coverage, it launches a preemptive mission: sending the closest available response unit, not necessarily an ambulance, to position itself where it's likely to be needed.

"We call it 'forecasted dispatch'," he says. "The system reviews recent historical data every two minutes and asks: 'What's the probability of a serious incident in this specific zone in the next fifteen minutes?' If the answer is high, it moves a unit."

"In more than 92% of cases," Rosenblat says, "a call comes in shortly after that predictive deployment. We didn’t have to do anything. The system knew."

The system has been tested under extreme pressure. During a single missile strike in 2019, 220 ambulances were dispatched and coordinated across a vast impact zone. "It was one incident," he says, "but dozens of locations. The system managed all of it—prioritization, routing, hospital destinations, the national picture. It was routine for the system."

"I don’t know any other system in the world that could do that," he adds. "Not without chaos. Not without delays. We were fast, efficient, and accurate—because we trusted the technology."

The biggest initial challenge wasn't technological. It was human. Convincing experienced dispatchers and paramedics to trust the algorithm took time. But over years of comparative analysis, the system proved its worth. Operators can still override the dispatch logic, but they rarely do.

"In the beginning, they said, 'This can't be right. Why would you send that unit there?'" Rosenblat recalls. "So we gave them the power to roll it back. And then we showed them the numbers. Over time, they saw that the system’s ETA was usually faster than their own choices."

And the system learns. Continuously.

"We taught it the rules of our country," Rosenblat says. "What the toll roads are, the borders, the travel time limits. It calculates so much more, so much faster than a human can."

In South Florida, Hatzalah South Florida—an all-volunteer emergency medical service—adopted a scaled-down, cloud-based version of MDANet to support its dispatch operations across Miami-Dade and Broward counties. “Given our close relationship [with MDA], it made perfect sense to adopt Magen David Adom’s technology and bring those innovations here,” said Joseph Dahan, director of Hatzalah South Florida and an EMT with the organization. "It’s the same system," Rosenblat notes. "Just fewer units. But it works."

Could it work in Quebec? Unlike Israel, where MDA is understood as an existential component of national safety, Quebec's EMS infrastructure remains siloed—one system for call-taking, another for mapping, another for ambulance tracking, and no shared interface.

"In Israel, everyone understands that MDA is essential," says Rosenblat. "It’s part of our identity. You can't take care of a population without taking care of your emergency response system."
"I don’t want to compare," he adds, diplomatically. "But I do want people to know what’s possible."

As climate disasters, geopolitical instability, and health system strain converge, the need for intelligent, integrated, forward-looking dispatch is no longer theoretical. It's urgent.

And in one part of the world, it already exists.