Droits maternels : fragiles comme un nouveau-né

Droits maternels : fragiles comme un nouveau-né

Allaiter sans peur — menacé par la violence institutionnalisée

(25-05-2025 par Martin Viau, collaboration spéciale avec La Dernière Ambulance)

Le Québec, en tant que société, semble atteint d’une forme avancée du Jour de la marmotte.

Bien peu de choses avancent, car tout est toujours à recommencer.

Que ce soit en santé, ou les réformes s’enchaînent sans attaquer les problèmes fondamentaux, laissant une vaste proportion d’hôpitaux dans un état aussi lamentable que les temps d’attente pour y obtenir des services, qu’en éducation, dans le logement social, dans le renouvellement des infrastructures ou dans un large éventail de politiques publiques qui peinent à s’arrimer avec la réalité du temps, il y a un autre domaine qui subit régulièrement des attaques frontales dans le but mal dissimulé de revenir en arrière.

Il s’agit des droits acquis par les travailleurs et les travailleuses.

En avril 2012, ma conjointe accouchait de notre premier enfant. Nous étions alors tous deux paramédics. À la suite de son congé de maternité, elle choisit de poursuivre l’allaitement maternel. Elle peut donc profiter, au sens mélioratif du terme, du programme Pour une maternité sans danger[i] mis en place par la CNESST.

À notre grande consternation, en octobre 2012, elle et une poignée de collègues dans la même situation apprennent qu’on leur refuse l’accès au programme. Non seulement elles ne recevront plus de compensation salariale pour poursuivre leur retrait préventif, on leur réclame en plus les montants déjà versés[ii].

La décision, sans préavis et effective dans l’immédiat, est une claque en plein visage pour les femmes et leurs familles. Certaines décident de contester : elles resteront chez elles sans salaire durant des mois pour assurer un allaitement sécuritaire à leur nouveau-né. D’autres, face au stress financier insoutenable, se doivent se résoudre à retourner au travail sur-le-champ et à remplacer à contrecœur le lait maternel par du lait maternisé.

Le syndicat, dans un rare moment de proactivité assumée, s’assure des services de M. Claude Tremblay, détenteur d’un doctorat en épidémiologie et en toxicologie pour qu’il produise une expertise et prenne part à la défense des travailleuses. Son rapport étoffé est incontestable. Les arguments des médecins de la santé publique, deux docteures généralistes, sont déconstruits jusqu’au dernier.

Le 12 juillet 2013, la Commission des lésions professionnelles (C.L.P.) déclare que les cinq travailleuses ont droit au retrait préventif pour allaitement[iii]. Le combat, éprouvant autant sur le plan psychique que financier, semble gagné. Pour nous, et pour les autres à venir.

Ma conjointe accouche de notre deuxième enfant à peine trois semaines plus tard.

Le système québécois étant incapable de s’extirper de sa sclérose ne serait-ce que l’espace d’un moment, un fonctionnaire la contacte pour lui expliquer que sa demande de retrait préventif pour allaiter notre second enfant est… refusée. Le dossier qui venait de faire jurisprudence ne s’était pas rendu sur son bureau.

Comme la marmotte n’est jamais loin, c’est avec un nœud dans la gorge que je découvre qu’il y a quelques jours à peine, en pleine semaine des Paramédics, plus d’une quarantaine de travailleuses d’Urgences-santé recevaient un courriel les informant qu’on leur retirait à leur tour l’accès au programme 'Pour une maternité sans danger'.


Le droit à l’allaitement sans danger est utilisé comme une arme contre les femmes sensées pouvoir s’en prévaloir.

Le droit de gestion devient trop souvent une arme. Les armes, par définition, sont susceptibles d’entraîner de la violence lorsqu’utilisées.

Car c’est ce que c’est : de la violence. Il convient de la nommer.

La contestation de droits acquis par les travailleurs et travailleuses est sans doute la métastase d’une masse qui s’est transformée en tumeur au fil du temps : le droit de gestion de l’employeur. Drapé dans un concept légal, large et flou, il touche à l’attribution des tâches, en passant par le rendement du personnel aux mesures disciplinaires.

Dans la réalité, le droit de gestion s’incarne à peu près toujours de façon violente. Enquête, mesures disciplinaires, suspensions sans solde, pertes d’accès à certains programmes, congédiement, etc. Bien que dans certains cas, ce soit légitime, la confirmation, ou l’infirmation, de la légitimité et de la mesure de gestion et des conséquences souvent lourdes qui s’en suivent ne se fera que longtemps après. Plusieurs mois. Voire des années.

Il n’y a aucun mécanisme en place pour mettre un frein lorsqu’une décision a des implications graves et immédiates pour un employé. Il faut subir le préjudice et retourner dans le milieu de travail qui nous l’impose et attendre que notre contestation soit entendue. Les tribunaux sont aussi débordés que les urgences. La situation, et le tort infligé, ne font que perdurer dans le temps.

Et si lorsque des décisions lourdes de conséquences au nom du sacro-saint droit de gestion entraînaient aussi des conséquences pour ceux qui les instaurent sans discernement ? N’y a-t-il pas un deux minutes de punition supplémentaires au hockey pour un bâton porté au visage lorsque l’adversaire saigne ?

Lorsqu’on abuse de ce droit, ceux et celles qui en font les frais devoir se voir dédommager à la hauteur du préjudice subi. Il devrait exister un automatisme qui fait que les montants perdus lorsqu’on s’attaque aux droits des travailleurs, ou lorsqu’on abuse de mesures disciplinaires, les compensations sont automatiquement le double de ce qui a été perdu.

Peut-être qu’ainsi, les gestionnaires cesseraient de ronger les conditions de travail des paramédics comme s’ils jouaient au Jenga, jusqu’à ce que la tour s’effondre ou qu’il ne reste plus de blocs à retirer.


Peu importe ce qu’en disent la CNESST, la santé publique, ou encore la compagnie ambulancière qui se flagorne lors de présentations nationales et internationales sur ses pratiques innovantes en matière de ressources humaines. Cette décision est une trahison envers des femmes qui sacrifient leur tête, leur corps, leur vie familiale au service des autres.

Les femmes représentent désormais plus de 40% de la main-d’œuvre paramédicale. Le calcul est simple, froid, déshumanisant : il y a des économies à faire en les renvoyant au travail. Il y a pénurie, il y a hémorragie. Peu importe que le coût d’un autre garrot temporaire en refusant l’accès à un programme dédié à la protection des jeunes mères.

Elles devraient pouvoir être chez elles, en sécurité, à subvenir aux besoins de leurs jeunes familles.

Elles doivent, encore, se battre pour faire respecter leurs droits.

Elles sont sur la route, à faire ce qui compte : servir la population.

Face à ce révoltant jour de la marmotte, nous lisons, nous entendons vos voix et votre colère, mamans, paramédics.

Nous sommes de tout cœur à vos côtés.


[i] https://www.cnesst.gouv.qc.ca/.../programme-pour-une...
[ii] Noter qu’à ce moment, l’employeur ne prend part ni pour les employées ni pour la CNESST et se contente d’observer.
[iii] https://citoyens.soquij.qc.ca/php/decision.php...