Entretien avec une paramédic québécoise

9-10-2025
Elle a demandé à rester anonyme. Pas pour se protéger, mais pour mieux faire entendre ce qui compte vraiment. Ses mots. Ses idées.
Paramedic au début de sa carrière, elle parle du soin comme d’un dialogue — avec les patients, avec les collègues, et avec elle-même.
Elle incarne ce que le métier a de plus essentiel : la compétence tranquille, la compassion lucide. Ni désillusionnée, ni naïve — juste résolument humaine. Et c’est peut-être là que commence le vrai courage.
Parce qu’il est temps d’écouter des voix comme la sienne — celles de ceux et celles qui connaissent le terrain, et qui peuvent encore guider un système qui cherche sa direction.
Q: Peux-tu me raconter ce qui t’a menée vers le métier de paramédic?
A: En juillet 2018, j’ai eu un accident de VTT. Je m’en suis sortie avec 2 fractures du bassin, des micro-fractures au niveau lombaire et un bon TCC classique. Dans mon lit d’hôpital, j’ai vite réalisé que n’allais possiblement pas pouvoir me préparer aux tests physiques pour rentrer en technique policière comme j’en rêvais depuis l’âge de 4 ans puisque la durée de mon rétablissement était inconnue et qu’il était encore trop tôt pour prédire les séquelles que j’allais garder de cet évènement. Je me suis alors mise à réfléchir à mes options, à faire mes recherches. « Est-ce que je reporte mes demandes d’admission? Est-ce que je commence un tremplin DEC pour faire ma demande en TP l’année suivante? Est-ce que je choisis un autre programme? » Puis, quand j’ai vu qu’il y avait une technique en soins préhospitaliers d’urgence, je me suis immédiatement dit « C’est ÇA que je veux faire ». Je n’ai jamais remis en doute mon choix depuis ce jour.
Q: Comment ton expérience personnelle - ta blessure grave et la rencontre avec les paramédics qui t’ont soigné et transporté - a influencé ta décision de choisir cette carrière?
A: Drôlement, jusqu’au moment où j’ai moi-même eu besoin d’une ambulance, je n’avais jamais considéré la possibilité de devenir paramédic. Pourtant, ce métier cochait toutes les cases de ce que je recherchais dans un travail: aider les gens, un contact direct avec la population, des journées différentes les unes des autres et la possibilité d’intervenir auprès d’une multitude de types de populations. Le fait d’être exposée directement au métier, même en temps que patiente, m’a ouvert les yeux sur l’accessibilité de celui-ci.
Q: Quand tu repenses à ce moment-là, est-ce que tu sens que ça a façonné ta façon d’interagir avec tes propres patients aujourd’hui?
A: D’une certaine manière, oui. Depuis que je suis paramédic, je ne vois plus mon accident de la même façon. Avant, je l’associais surtout à mes blessures et à la douleur et la peur que j’ai ressenties. Aujourd’hui, je revois le travail des paramédics et des autres intervenants derrière mon évacuation complexe, la rapidité de mes soins et les tentatives de me rassurer. Je revois le paramédic qui était à mes côtés durant le transfert qui tentait de me changer les idées et me faire rire. Le souvenir de mon accident me rappelle l’impact que je peux avoir sur l’état physique et psychologique de mes patients et de l’importance de faire mon possible pour qu’il soit le plus positif possible. En tant que paramédic, je ne me souviens pas de tous mes patients, mais en tant que patiente, je me souviens du paramédic qui était dans la boîte avec moi.
Q: Qu’est-ce que tu aimes le plus dans ton rôle de paramédic au quotidien?
A: C’est de sentir que j’ai réellement aidé quelqu’un, peu importe la nature ou l’intensité de cette aide. C’est de me faire remercier par la dame âgée qui est restée au sol 12 heures après être tombée, incapable de se relever. C’est d’intervenir auprès d’un homme qui ne trouve plus de sens à la vie et qui se permet de s’ouvrir à moi alors qu’il accumulait toutes ses émotions à l’intérieur de lui depuis des mois. C’est de stabiliser un patient en détresse respiratoire. C’est d’être à l’écoute et présente envers la personne qui vient d’apprendre le décès d’un être cher et de pouvoir lui apporter ne serait-ce qu’un peu de douceur dans l’un des pires moments de sa vie.
Q: Qu’est-ce que tu trouves le plus difficile ou le plus exigeant dans la profession?
A: On me dit souvent que ça doit être difficile d’être autant exposée à la mort et à la misère et même si ce n’est pas agréable, ce que je trouve le plus difficile, ce sont les petits irritants quotidiens qui finissent par peser. Par exemple, beaucoup abusent du système en appelant pour des situations non urgentes: une gastro de quelques heures, une toux persistante, une incapacité à dormir, etc. Ces patients pensent passer plus vite à l’urgence ou leur assurance rembourse l’ambulance, mais pas un taxi, alors ils optent pour le 911. Je ne peux pas refuser un transport, leur dire de prendre 2 tylenols, de s’hydrater et de se reposer, alors je dois les emmener même quand ce n’est pas nécessaire, ce qui allonge les délais pour les vraies urgences. Rien n’est plus frustrant que de savoir qu’une femme de 80 ans faisait un massage cardiaque à son mari pendant 15 minutes alors que j’étais à deux rues de là, occupée à gérer un ongle cassé que je finis par transporter en ambulance pendant que la famille au grand complet suit en voiture en arrière.
Q: Être une femme dans un métier, qui, pendant longtemps, a surtout été occupé par des hommes, ça ressemble à quoi aujourd’hui?
A: À part quelques cas isolés de collègues moins ouverts, je trouve que la grande majorité de mes collègues masculins sont respectueux et inclusifs. Les commentaires sexistes ou misogynes que j’ai pu entendre viennent plutôt de patients ou de leur entourage et ce sont toujours les mêmes 4-5 commentaires qui reviennent. Ces situations peuvent être délicates à gérer, mais elles restent exceptionnelles par rapport à l’ambiance générale. Mes collègues masculins se montrent même parfois protecteurs (tout en me laissant l’espace pour me défendre moi-même), ce qui, même si cela peut parfois surprendre, est souvent apprécié. Je crois que les barrières liées à la présence de femmes dans le métier s’estompent de plus en plus avec le temps et que cette présence devient la norme.
Q: Est-ce que tu sens qu’il y a encore une mentalité de « boys club » dans certains milieux, ou bien les choses évoluent?
A: Pour être honnête, je crois que oui, surtout dans les métiers plus physiques et/ou manuels, mais je mets surtout ça sur la faute d’à quel point il peut être facile d’être influencé par une dynamique de groupe ou encore des personnes avec des opinions bien ancrées. Par contre, pour ma part, mes collègues masculins semblent vraiment conscients de ma réalité en tant que femme dans le domaine et des défis qui y sont reliés. Alors même si certains pensent peut-être réellement que j’ai moins ma place qu’un homme, ils ne me le font pas ressentir et ça, c’est assez pour moi. Je trouve que les mentalités changent doucement, mais sûrement.
Q: Qu’est-ce que tu aimerais voir changer pour les prochaines générations de paramédics?
A: Ce que j’aimerais surtout voir changer, c’est que les paramédics aient plus de pouvoir clinique. Nous sommes formés et compétents, mais souvent limités à transporter des patients, même quand on sait qu’ils n’ont pas nécessairement besoin d’aller à l’hôpital. Ça freine notre efficacité, mais aussi notre motivation. Je souhaite que les formations cliniques soient données plus rapidement et également au travers de la province. J’ai des collègues de d’autres régions qui ont la possibilité d’administré certains médicaments et de poser certains gestes depuis plusieurs mois, voire années, que je n’ai aucunement été formée pour encore à ce jour. J’aimerais que l’amélioration des conditions de travail soit proportionnelle à tous les beaux discours qu’on entend de certaines institutions. On est souvent présentés comme des « héros », mais quand vient le temps de discuter AVEC nous, on dirait que les oreilles sont bouchées. Pour les prochaines générations de paramédics, je leur souhaite une reconnaissance sincère, des conditions meilleures et un vrai dialogue ouvert et réceptif.
Q: Quand tu regardes vers l’avenir, à quoi tu aimerais contribuer dans le système préhospitalier québécois?
A: À vrai dire, quand je regarde vers l’avenir, je ne sais pas encore à quoi j’aimerais contribuer dans ce système. C’est un système fragile, chambranlant, et ça peut parfois empêcher d’être capable de se positionner face à celui-ci et de vouloir s’y investir au-delà de son rôle. Ceci dit, j’adore mon métier et je suis bien dans les tâches de mon travail. Pour l’instant, mon focus est surtout sur mon travail tel qu’il est actuellement, tout en gardant un oeil ouvert sur ce qui pourrait évoluer ou m’être offert comme opportunité. Je reste ouverte à voir où ça peut me mener, sans trop me mettre de pression.
Q: As-tu des projets ou des rêves particuliers liés à ta carrière?
A: J’ai certaines idées en tête, comme peut-être enseigner des cours de la technique ou prendre sous mon aile des stagiaires sur la route. Ce sont des projets qui me parlent, mais je ne me sens pas encore prête à m’y engager pleinement. Je me donne encore quelques années pour acquérir plus d’expérience sur le terrain, apprendre et me sentir vraiment à l’aise avec tout ça. Je garde ces options dans ma petite poche arrière, prête à les sortir si jamais la vie me mène dans cette direction. Pour l’instant, je préfère rester concentrée sur mon travail au quotidien et continuer à développer mes compétences. Mais j’aime bien savoir que ces possibilités existent, ça me donne un peu de motivation pour l’avenir.
Q: Qu’est-ce que tu imagines comme prochaine étape pour toi, autant sur le plan professionnel que personnel?
A: Sur le plan professionnel, je me vois possiblement évoluer vers autre chose tout en gardant un pied dans le métier de paramédic le plus longtemps possible. Je suis retournée aux études depuis un peu plus d’un an afin de m’ouvrir plus de portes, même si je n’ai pas encore de plan précis et coulé dans le béton. Je reste ouverte à diverses possibilités et comme mentionné plus haut, ça me motive de savoir que plusieurs options s’offrent à moi. Côté personnel, j’ai des projets excitants, comme voyager ou acheter une propriété dans les prochaines années. Ce sont des gros projets et j’ai parfois le goût de tout faire en même temps, mais j’ai espoir que chaque chose arrivera au bon moment.