Grand Prix de l’hypocrisie

(11-06-2025 English version follows the French)
Ce week-end, Montréal brille. L’héliport de l’Hôpital du Sacré-Cœur est dégagé. Les équipes médicales sont prêtes. Les évacuations héliportées sont autorisées. Tout est en place pour assurer la sécurité optimale des pilotes et du public du Grand Prix de Formule 1.
Et pendant ce temps, ailleurs sur l’île, les Montréalais attendent. Attendent une ambulance. Attendent qu’Urgences-santé daigne leur envoyer un véhicule, même quand les minutes comptent. Attendent parfois jusqu’à une heure, même en cas d’urgence réelle.
Il y a là une hypocrisie troublante. Quand les caméras sont braquées sur Montréal, quand des écuries milliardaires foulent le bitume de l’île Notre-Dame, soudainement, tout devient possible. L’accès à l’évacuation aérienne, bloqué pour les régions éloignées et les communautés autochtones faute de financement ou de volonté politique, se déploie en un claquement de doigts pour une fin de semaine de course.
Et ce qui est encore plus fascinant, c’est que pendant ces quelques jours de Grand Prix — sur ce minuscule fragment de territoire qu’est le circuit Gilles-Villeneuve — le Québec réussit à opérer un système de soins préhospitaliers d’envergure mondiale. L’argent pour le temps supplémentaire des infirmières à Sacré-Cœur apparaît. Les budgets pour Urgences-santé deviennent soudainement élastiques. La logistique roule. Tout fonctionne.
Puis, comme dans Brigadoon, cette ville mythique qui ne surgit qu’une fois tous les cent ans avant de disparaître dans la brume — tout cela s’évanouit. Les millionnaires et les milliardaires remontent dans leurs jets privés. Les caméras s’éteignent. Et Montréal retourne à son quotidien : appels en attente, absences de véhicules disponibles, épuisement professionnel.
À longueur d’année, les paramédics dénoncent les failles systémiques. Trop peu de véhicules. Trop d’appels non urgents. Trop de patients stables, mais quand même classés en priorité 1 parce que le système de répartition ne filtre plus adéquatement. Et pourtant, aucune réforme en profondeur. Aucun plan concret pour doter Montréal d’un service préhospitalier digne d’une métropole.Mais pour trois jours de Grand Prix ? Rien n’est trop beau.
Il ne s’agit pas ici de blâmer les équipes médicales du Grand Prix, qui font un travail admirable. Mais de rappeler que ce niveau d’efficacité logistique, cette capacité de coordination interinstitutionnelle et ce souci du détail — que le gouvernement et ses partenaires déploient pour un événement privé et ultra-médiatisé — sont tout aussi nécessaires pour les urgences bien réelles qui se jouent tous les jours dans Parc-Extension, Montréal-Nord, Hochelaga ou Lachine.
Le contraste est indécent.
Parce qu’un enfant qui fait une crise d’épilepsie au cinquième étage d’un bloc sans ascenseur mérite le même accès aux soins qu’un pilote qui frappe le mur des champions.
Parce que la vie d’une personne en situation d’itinérance en détresse respiratoire à 3 h du matin dans un parc du centre-ville vaut tout autant que celle d’un milliardaire dans une loge VIP.
Et parce que les soins prehospitalier d'urgence ne devrait jamais être traitée comme un spectacle.
The Grand Prix of Hypocrisy
This weekend, Montreal will shine. The helipad at Sacré-Cœur Hospital will be cleared. Medical teams will be on standby. Medevac helicopters on call. Everything will be in place to ensure world-class emergency medical coverage for the Formula One Grand Prix.
Meanwhile, elsewhere across the island, ordinary Montrealers will wait. Wait for an ambulance. Wait for Urgences-santé to dispatch a vehicle — even when every minute counts. Wait sometimes as long as an hour, even in true emergencies.
It’s a troubling kind of hypocrisy. When the cameras are rolling and billionaire racing teams take to the track on Île Notre-Dame, suddenly anything becomes possible. Air ambulance access — stalled for remote regions and Indigenous communities for lack of funding or political will — is activated without hesitation for three days of racing.
And what’s most striking is this: for the brief duration of the Grand Prix, on that tiny micro-version of our province that is Circuit Gilles-Villeneuve, Quebec somehow manages to operate a world-class prehospital care system. Overtime budgets for nurses at Sacré-Cœur appear out of thin air. The funding for paramedics at Urgences-santé becomes elastic. Everything runs. It works.
And then — like Brigadoon, that mythical village that emerges from the mist once every hundred years before vanishing again — it all disappears. The billionaires board their private jets. The cameras power down. And Montreal returns to business as usual: long delays, no units available, burned-out paramedics trying to do more with less.
All year round, paramedics speak out about the system’s failings. Too few ambulances. Too many non-urgent calls. Too many patients overtriaged as critical because the dispatch system no longer filters effectively. And yet no real reform. No bold plan to give Montreal a prehospital care system worthy of a major city.
But for three days of Grand Prix? Nothing is too extravagant.
This isn’t an attack on the medical teams at the race — they do outstanding work. But it is a reminder that the level of logistical excellence, inter-agency coordination, and attention to detail that the government brings to a flashy, private, global event should be the same standard applied to everyday emergencies — in Parc-Extension, Montreal North, Hochelaga, or Lachine.
The contrast is obscene.
Because a child having a seizure in a fifth-floor walk-up deserves the same access to care as a driver who hits the wall of champions.
Because the life of a homeless person in respiratory distress at 3 a.m. in a downtown park is worth just as much as a billionaire in a VIP box.
And because emergency prehospital care is not — and should never be — a performance spectacle.