La géographie de la douleur

La géographie de la douleur

(01-05-2025 English version follows the French)

Finalement, le système de soins préhospitaliers d'urgence (SPU) au Québec a fait un grand pas en avant.

Mais comme rien n'est facile pour la SPU, alors que certaines régions sont en phase, d'autres sont à la traîne.

Dans un bulletin clinique diffusé récemment, le directeur médical national des soins préhospitaliers d’urgence, le Dr Alexandre Messier, autorise officiellement les paramédics à administrer de façon plus autonome un soulagement efficace pour la douleur aiguë.

Cette avancée — encadrée par des protocoles stricts, une formation obligatoire et des exigences claires — marque un tournant pour le réseau préhospitalier. Elle marque aussi un tournant pour les patient·e·s, car la douleur aiguë n’est pas un détail. Elle n’est pas secondaire. Elle peut amplifier un traumatisme, compliquer le transport, nuire à l’évaluation et provoquer des réactions physiologiques graves — tachycardie, détresse respiratoire, chute de tension artérielle. Surtout, elle laisse une empreinte durable sur l’expérience du soin.

Il n’y a rien de plus cruel que de souffrir, tout en sachant que l’équipe présente à vos côtés a les compétences pour vous aider, mais pas l’autorisation de le faire.

C’est précisément cette contradiction que le nouveau protocole vient corriger.


Mais encore faut-il qu’il soit implanté. Et c’est là que la réalité se fracture — au sens propre comme au figuré.

Cela fait plus de huit ans que les paramédics du Bas-Saint-Laurent et de Chaudière-Appalaches administrent du fentanyl pour soulager la douleur aiguë de leurs patient·e·s — et ce nouveau protocole leur offrira une plus grande autonomie clinique pour le faire, sans devoir consulter une infirmière par l'entremise du centre de communication.

Car à Urgences-santé, le service qui dessert Montréal et Laval et qui répond à plus de 360 000 appels par année, on prévoit que la majorité des paramédics n’auront pas accès à cette autonomie avant 2026–2027. Seuls les paramédics de soins avancés (ACP) l’utilisent actuellement.

En 2025, un projet pilote impliquera quelques instructeurs et membres d’une unité spécialisée.

Pour les autres? Deux années d’attente. Deux années pendant lesquelles des patient·e·s continueront de vivre des douleurs aiguës sans traitement adapté, même si des paramédics qualifié·e·s sont à leurs côtés.


La douleur aiguë ne respecte pas les délais budgétaires. Elle ne ralentit pas pour accommoder des échéanciers internes. Et elle ne fait aucune distinction entre les régions. Une fracture de la hanche fait tout aussi mal, que la personne se trouve à Rimouski ou à Rosemont–La Petite-Patrie.

C’est pourquoi le leadership démontré par certaines régions doit être souligné. Dans le Bas-Saint-Laurent, le directeur médical régional a déjà donné le feu vert. Les paramédics de cette région pourront bientôt intervenir avec plus d’autonomie pour soulager la douleur de leurs patient·e·s.

Ce geste n’est pas seulement administratif — c’est une marque de confiance. Une reconnaissance concrète des compétences cliniques du personnel préhospitalier.

Pourquoi cette confiance est-elle encore absente à Montréal et Laval?

Il ne s’agit pas ici de précipiter un changement mal préparé. Tout le monde s’entend : les conditions d’implantation sont sérieuses. Formation, procédures de réapprovisionnement, ententes avec les hôpitaux de base, coffrets sécurisés — chaque étape est importante. Mais ces étapes peuvent être franchies rapidement, comme le démontrent d’autres régions.

La décision récente porte sur la capacité d’intervenir face à un symptôme aussi ancien que l’humanité : la douleur. Ce que le protocole encadre, c’est un acte de soin. Et cet acte, les paramédics du Québec sont prêts à le poser.


Accroître l’autonomie clinique des paramédics pour gérer la douleur est une décision sensée.

Il a reconnu que la douleur ne peut plus être ignorée dans les soins préhospitaliers. Il a reconnu que les paramédics sont des clinicien·ne·s capables de jugement, d’évaluation, et d’intervention sécuritaire. Mais ce choix doit maintenant se traduire en équité réelle. Il ne peut pas y avoir deux vitesses dans le soulagement de la douleur.

Faire attendre des centaines de milliers de patient·e·s pendant encore deux ans avant de pouvoir soulager leur douleur aiguë est inexplicable à plusieurs égards. Urgences-santé doit recentrer ses priorités sur des soins de qualité, humains et significatifs.

Et il est temps pour l’ensemble du réseau de reconnaître une vérité simple : le soulagement de la douleur n’est pas un luxe. C’est le point de départ du soin.


The Geography of Pain

After years of delay, Quebec’s emergency prehospital care (EPC) system has finally taken a meaningful step forward.

For the first time, paramedics across the province are being granted greater clinical autonomy to treat acute pain—without needing to consult a nurse through a dispatch centre.

In a recent bulletin, Dr. Alexandre Messier, Quebec’s National Medical Director for EPC, authorized this change through strict new protocols, mandatory training, and clear implementation guidelines.

It’s a long-overdue shift—one that acknowledges pain relief as a core responsibility of paramedic care. And for patients, the impact could be life-changing.

Acute pain isn’t just uncomfortable. It can worsen trauma, complicate transport, interfere with clinical assessments, and trigger dangerous physiological responses—racing heart rate, respiratory distress, or plummeting blood pressure. It also leaves a lasting emotional mark. There is nothing more cruel than suffering in front of professionals who are fully capable of helping—but aren’t allowed to do so.

That contradiction is what this new protocol aims to fix.

But now comes the hard part: putting it into practice.

And this is where the system begins to split—both literally and figuratively.

In regions like Bas-Saint-Laurent and Chaudière-Appalaches, paramedics have already been using fentanyl to manage severe pain for more than eight years. This new protocol simply gives them more autonomy to do so. Their regional medical director has already signed off on the update, and patients there will soon benefit from faster, more compassionate care.

In contrast, paramedics in Montreal and Laval—the busiest urban region, handling more than 360,000 calls annually—may have to wait until 2026 or even 2027 to see this change. For now, only advanced care paramedics (ACPs) can administer fentanyl, and a small pilot project in 2025 will include a handful of instructors and specialized unit members.

For everyone else? Two more years of waiting.

Two more years in which patients will continue to suffer needlessly—even when qualified paramedics are right beside them.

Acute pain doesn’t follow budget cycles. It doesn’t slow down for bureaucratic timelines. And it doesn’t matter where you live. A fractured hip hurts just as badly whether the patient is in Rimouski or Rosemont-La-Petite-Patrie.

That’s why the leadership shown in some regions deserves recognition. Their actions are more than administrative decisions—they’re a show of trust. A concrete vote of confidence in the skills, judgment, and professionalism of paramedics.

Why hasn’t that same trust been extended in Montreal and Laval?

This isn’t about rushing change. Everyone agrees that proper safeguards must be in place: training, drug resupply protocols, agreements with hospitals, secure medication storage. But all of these are quickly achievable —as we’ve seen elsewhere in the province.

What’s at stake here isn’t just a policy update. It’s an act of care. A response to one of the most human and universal symptoms we know: pain.

The right call has been made in recognizing that paramedics are clinicians. That they can think critically, assess patients, and provide safe, effective treatment.

Now it’s time to follow through—with equity and urgency.

There cannot be two speeds when it comes to relieving pain.

Having hundreds of thousands of patients wait for two more years before their acute pain can be addressed is inexplicable on multiple levels. Urgences-santé needs to re-focus itself on providing quality and meaningful patient care.

And the entire system must embrace a simple truth:
Pain relief is not a luxury. It’s where care begins.