La plus récente chronique de Félix Gagnon : Le gazon du voisin

English version follows the French
Il est facile, avec les années, de glisser dans une certaine forme d’automatisme, quelle que soit la profession. Même celle de paramédic, pourtant réputée pour son imprévisibilité, finit par présenter des visages familiers. Les appels changent, les patients aussi, mais l’écho des interventions passées finit par s’installer. Et, parfois, les traitements stagnent, figés dans un cadre qui évolue trop lentement.
Poussé par une soif constante, ou peut-être un brin obsessionnel, d’élargir mes connaissances en médecine préhospitalière et de bonifier mes soins aux patients, je me suis récemment aventuré du côté ontarien. J’y exerce le rôle de paramédic en soins primaires en parallèle de mes fonctions au Québec, observant en silence, comme un espion discret, ce qui germe de l’autre côté de la clôture.
Et ce que j’y vois, c’est un gazon… plus vert.
Il ne l’est pas seulement parce qu’il semble mieux pousser, mais surtout parce qu’il ne souffre pas. En effet, nos collègues ontariens en soins primaires sont autorisés à soulager la douleur de leurs patients à l’aide de trois médicaments (Tylenol, Advil et Kétorolac).
Si on ajoute à cela la possibilité d’avoir un paramédic de soins avancés sur ce même appel, on peut ajouter trois autres médicaments pour contrôler la douleur. Cela porte le total à un impressionnant 6 choix de molécule pour lutter contre la douleur, contrairement à un seul au Québec (si, bien sûr, vous avez la chance d’avoir un paramédic de soins avancés dans votre secteur, ou si vous résidez dans l’un des rares territoires où les paramédics en soins primaires sont autorisés à administrer le fentanyl).
Devrais-je également vous parler des protocoles de soins palliatifs administrés par les paramédics ontariens chez les patients en fin de vie dont la seule priorité est d’être confortable dans ses derniers moments?
Deux provinces voisines, deux réalités diamétralement opposées. Pourquoi?
Le gazon semble plus vert chez nos voisins, car on l’arrose et on l’entretient. De façon obligatoire, des formations continues sont offertes par un réseau de formation bien rôder dans la province de l’opportunité. On parle ici d’une introduction quasi annuelle de nouveaux actes, mais également d’un maintient des compétences déjà acquises.
Pendant ce temps, de notre côté de la rivière, la fleur de lys n’a qu’à offrir que des formations disparates de temps à autre lorsque vient parfois le moment d’introduire de nouveaux gestes. L’équipe des formateurs du domaine préhospitalier québécois est plus que qualifiée et pleine de volonté : ce n’est pas la compétence ni la passion qui manquent aux formateurs québécois, c’est le soutien, les moyens, la vision.
Le gazon semble plus vert chez nos voisins, car on ne cherche pas à le cacher puisqu’il est jaune. Au contraire, on l’entretient et on le met en valeur devant la maison, au profil des autres acteurs du réseau de la santé. Plutôt que de faire des jardinières séparées, inégales et puisant chacune pour soi, l’Ontario a compris que de jumeler les forces de plusieurs professions différentes et les utiliser en complémentarité rendrait le jardin beaucoup plus efficace et beau.
Une paramédecine communautaire qui gère des centaines de patients à domicile. Des protocoles de soins palliatifs qui empêchent le transport inutile d’individus ne désirant qu’un dernier souffle dans le confort de leur maison. Un réseau de communication pour assurer une meilleure récupération de tissus chez les décès récents qui améliore l’accès aux greffes. Des opportunités de projet de recherche en préhospitalier, tel que la double défibrillation séquentielle et l’analgésique méthoxyflurane (Penthrox, ou green whistle) : le préhospitalier ontarien travaille à désengorger et améliorer le réseau de santé global.
À l’inverse, le réseau préhospitalier québécois ressent qu’il est un fardeau pour le restant du réseau, qu’il n’est qu’une chaîne de taxi remplissant encore et toujours plus le flux incessant de patient aux urgences.
Pourtant, de brillants paramédics tentent jour après jour de développer des initiatives au service du réseau : malheureusement, ses tentatives se perdent trop souvent dans un océan administratif où la lourdeur et le manque de flexibilité sont la norme.
Alors à la fin de la journée, pourquoi écrire ce texte?
Cette chronique n’a aucunement l’intention de décourager, humilier ou désengager le paramédic québécois. Au contraire, je crois qu’il est crucial d’évaluer qu’est-ce qui se fait dans d’autres systèmes préhospitaliers. Parce que regarder le gazon du voisin, ce n’est pas être jaloux, c’est vouloir mieux. Parce que comparer, c’est parfois apprendre. Et surtout, parce qu’aimer son propre jardin, c’est aussi vouloir l’arroser, le nourrir, le réinventer.
Je crois aussi sincèrement qu’il est de notre devoir de continuer à développer notre profession et poser les questions qui dérange. Est-ce que les citoyens québécois méritent moins de soins que ceux de l’Ontario? Pourquoi d’un côté de la frontière nous est-il possible de soulager de multiples symptômes alors qu’on nous l’interdit à une mince distance de voiture?
Et ma dernière question : pourquoi sommes-nous incapables de rapporter une expertise développée par d’autres provinces ici, pourquoi toujours chercher à réinventer la roue?
Oui, cette chronique soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Toutefois, malgré notre retard évident et malgré un contexte de grève actuellement difficile, je crois qu’on peut continuer à avancer.
Si notre gazon est plus pâle, il n’est pas mort. Il attend la pluie. Il attend la volonté de plus haut. Il attend qu’on sème, qu’on cultive, qu’on rêve. Et moi, j’ose y croire encore. Parce que j’ai vu ce que notre jardin pourrait devenir. Et je suis convaincu qu’un jour, notre gazon n’aura plus rien à envier à celui des voisins.
G1219
The Latest Column by Félix Gagnon: The Neighbour’s Lawn
With time, it’s easy to slip into a kind of autopilot—no matter the profession. Even paramedicine, known for its unpredictability, eventually reveals familiar faces. The calls change, the patients too, but echoes of past interventions begin to settle in. And sometimes, treatment protocols stagnate—stuck in a framework that evolves far too slowly.
Driven by a constant—and maybe slightly obsessive—desire to expand my prehospital medical knowledge and improve patient care, I recently ventured into Ontario. There, I work as a Primary Care Paramedic alongside my role in Quebec, quietly observing, like a discreet spy, what’s growing on the other side of the fence.
And what I see is a lawn… that’s greener.
Not just because it appears to grow better, but because it’s not suffering. In Ontario, Primary Care Paramedics are authorized to manage patient pain using three medications: Tylenol, Advil, and Ketorolac.
Add an Advanced Care Paramedic to the same call, and you unlock three more pain control options. That brings the total to an impressive six pain medications—compared to just one in Quebec (and even that only applies if you're lucky enough to have an ACP in your area, or if you live in one of the few jurisdictions where PCPs are authorized to administer fentanyl).
Should I also mention the palliative care protocols Ontario paramedics can provide to patients at the end of life—whose only priority is to be comfortable in their final moments?
Two neighbouring provinces. Two drastically different realities. Why?
The grass seems greener next door because it's watered and maintained. Ongoing education is mandatory in Ontario, delivered through a well-established provincial training network. We're talking nearly annual introductions of new clinical acts—alongside consistent maintenance of existing skills.
Meanwhile, on our side of the river, the fleur-de-lys has little to offer beyond scattered trainings that occasionally show up when new interventions are introduced. Quebec’s prehospital instructors are deeply qualified and motivated—what they lack isn’t skill or passion, it’s support, resources, and a clear vision.
The lawn looks greener in Ontario because no one’s trying to hide it when it turns yellow. On the contrary, it’s proudly maintained and showcased alongside other parts of the healthcare system. Instead of planting isolated flowerbeds—uneven and competing for resources—Ontario has understood that bringing together the strengths of different professions and working in complementarity makes for a more effective and beautiful garden.
Community paramedicine programs managing hundreds of patients at home. Palliative care protocols preventing the unnecessary transport of people who simply want to take their last breath in comfort. A coordinated communication network improving tissue recovery in recent deaths and increasing transplant availability. Opportunities for prehospital research projects like sequential double defibrillation and the use of methoxyflurane (Penthrox, or “the green whistle”).
Ontario’s prehospital system is actively working to ease the pressure and improve the healthcare system as a whole.
In contrast, Quebec’s prehospital network often feels like a burden to the rest of the system—just a glorified taxi chain endlessly filling ERs.
And yet, brilliant paramedics work day after day to develop new initiatives that would benefit the system. Sadly, too often, their efforts get lost in an ocean of bureaucracy where rigidity is the norm.
So, at the end of the day, why write this?
This column isn’t meant to discourage, shame, or dishearten Quebec paramedics. On the contrary, I believe it’s essential to look at what other prehospital systems are doing. Because looking at the neighbour’s lawn isn’t jealousy—it’s aspiration. Because comparing systems can be a way to learn. And because loving your own garden means wanting to water it, feed it, and reimagine it.
I also firmly believe it’s our duty to keep advancing our profession and to ask uncomfortable questions. Do Quebecers deserve less care than Ontarians? Why is it that just across the border we can treat a wide range of symptoms—but over here, we’re forbidden?
And here’s my last question: Why are we so incapable of bringing proven expertise from other provinces into Quebec? Why do we always have to reinvent the wheel?
Yes, this column raises more questions than it answers. But despite our obvious lag, despite the current tensions of difficult labour actions, I still believe we can move forward.
If our lawn is looking pale, it isn’t dead. It’s waiting for rain. It’s waiting for the will from above. It’s waiting to be seeded, nurtured, dreamed into something better.
And I still dare to believe. Because I’ve seen what our garden could become.
And I’m convinced that one day, our lawn will be just as green as the neighbour’s.
– G1219