Lettres non signées

Lettres non signées

(28-05-2025)

Au Québec, les femmes représentent près du tiers du personnel paramédical — une présence significative dans un milieu qui, il n’y a pas si longtemps, était presque entièrement masculin. Plusieurs ont choisi cette carrière non seulement par passion pour les soins d’urgence, mais aussi parce qu’il devenait enfin possible d’imaginer un parcours où la vie de famille et la vie professionnelle pouvaient coexister. Or, cette promesse est en train de s’évanouir.

La décision d’Urgences-santé de retirer l’accès au congé préventif pour les mères qui allaitent — sous prétexte de s’aligner avec les directives de la CNESST et de la Santé publique — est présentée comme une simple mise à jour administrative. Elle ne l’est en rien. Elle envoie un message clair à toutes les femmes en uniforme, et à toutes celles qui envisagent la profession : leur réalité biologique et parentale est, au mieux, une complication; au pire, une incompatibilité.

Soyons clairs : ce n’est pas qu’une question de femmes. C’est une question de main-d’œuvre. C’est une question de qualité des soins. Et c’est une crise qui s’annonce.


Cette semaine, des paramédics mamans au Québec ont commencé à recevoir leur lettre — livrée par messager. Pas un appel. Pas une rencontre. Une lettre non signées.

J'ai reçu ça aujourd'hui sur le bord de ma porte. Il n'y a pas de nom signer au bas de la lettre, n'y de numéros de téléphone... je dois appeler mon gestionnaire... mais pourquoi moi, dois-je l’appeler ? Personne ne va m’appeler pour savoir si ça va être correct pour moi côté familiale? Silence radio en 1 semaine je me suis mise à faire de l’anxiété tous ça parce-que 1 personne à décider de chambouler toute notre vie (à moi et 36 autres femmes et les femmes qui viennent d accoucher ou qui vont accoucher prochainement). Maintenant je vois qu’on es juste un numéro ceux qui reste silencieux sont complice ! 15 ans d'ancienneté mais aucune considération pour mes années de services pour cette entreprise.

Son contenu? Leur congé préventif — une mesure essentielle censée les protéger, elles et leur bébé allaité, des expositions toxiques et des environnements à haut risque — est révoqué.

Et comme ça, une organisation qui se targue de prendre soin des autres vient d’abandonner les siennes.

Depuis des jours, Urgences-santé tente de faire croire au public que cette décision ne vient pas d’eux. Qu’ils ne font que suivre les directives de la CNESST et de la Santé publique. Mais ce n’est pas comme ça que fonctionne la responsabilité — pas en leadership, pas en santé, et certainement pas quand la sécurité de vos employées et de leurs enfants est en jeu.

C’est une trahison. Pure et simple.

Ces lettres marquent un point de bascule. Pas seulement pour les femmes directement touchées, mais pour l’ensemble du système de soins préhospitaliers d’urgence. Car ce qui se passe ici ne parle pas que d’allaitement. Cela parle d’un échec de leadership, d’une perte de confiance, et du message glaçant envoyé à toutes les paramédics actuelles et futures : vous êtes seules.


Comment en est-on arrivé là? Il y a un sérieux examen de conscience à faire dans les bureaux de la haute direction. Pourquoi n’ont-ils pas pris de recul pour réfléchir avant d’agir?

Devrions-nous faire une pause?

Devrions-nous consulter notre personnel?

Devrions-nous mesurer les conséquences sur la rétention, le recrutement, le climat de travail?

Devrions-nous réfléchir à ce que signifie dire à une jeune paramédic que fonder une famille pourrait mettre fin à sa carrière?

Apparemment, non.

À la place, on a eu droit à du silence, de la déresponsabilisation et une gestion de crise aseptisée — pendant que des femmes doivent choisir entre la santé de leur enfant et leur avenir professionnel. Ce ne sont pas des conséquences hypothétiques. C’est du tort bien réel. Aujourd’hui.


Et les effets d’onde ne font que commencer.

Les services paramédicaux du Québec sont déjà sous tension. Les horaires tiennent grâce aux heures supplémentaires, aux rappels de dernière minute, à l’épuisement chronique. Le stress monte. Maintenant, imaginez dire à toute une génération de jeunes recrues que si elles deviennent mères, elles perdront même les protections minimales qu’avaient leurs prédécesseures.

D’ici quelques semaines, une nouvelle cohorte de diplômé·es en soins préhospitaliers entrera sur le marché du travail. Qu’est-ce qu’ils et elles verront? Une organisation qui nie et qui évite. Une direction incapable — ou refusant — de défendre son propre personnel. Une culture qui perçoit la maternité comme une faiblesse. Si seulement une poignée de ces jeunes choisissent de faire autre chose, qui remplira les quarts de travail?


Alors même qu’Urgences-santé est à la recherche de son prochain président-directeur général, s’il existe un véritable test de leadership en ce moment, c’est celui-là. Comment une organisation traite ses propres employées en dit bien plus que n’importe quel discours stratégique.

Urgences-santé ne pourra pas éternellement se cacher derrière la bureaucratie. La CNESST et la Santé publique ont peut-être joué un rôle — mais c’est Urgences-santé qui a choisi comment appliquer cette décision. Ils ont choisi le moment. Ils ont choisi le silence. Ils ont choisi d’envoyer les lettres par messager, donnant aux paramédics mamans deux mois pour « remettre de l’ordre » dans leur vie avant de devoir retourner en service actif — que leur bébé soit prêt ou non. Et ils choisissent, en ce moment même, de ne rien faire pour corriger le tir.

Le vrai leadership ne consiste pas à appliquer aveuglément des règles. Il consiste à se lever quand ces règles font du mal à celles et ceux dont on dépend. Il consiste à poser des questions difficiles et à avoir le courage de changer de cap. Rien de cela n’a eu lieu ici. Pas encore.

Mais il le faut.

Parce qu’un système qui exclut les mères, qui punit la compassion, et qui aliene ses propres soignant·es est un système qui court à l’effondrement.