Loi 7 : silence administratif, choc institutionnel
Une enquête de La Dernière Ambulance
10-12-2025
Prenez quelques minutes. Cette analyse est longue, mais essentielle. Ce que nous avons découvert en remontant la trace administrative entourant la Loi 7 mérite d’être lu attentivement : des décisions majeures touchant l’un des piliers du système préhospitalier québécois ont été prises sans laisser presque aucune trace écrite.
Pour comprendre ce que cela révèle — et ce que cela implique — il faut entrer dans les détails.
Lorsque le gouvernement du Québec a dévoilé la Loi 7 — une restructuration majeure du réseau de la santé et des services sociaux qui a, discrètement, dissous Urgences-santé comme entité indépendante pour l’intégrer à Santé Québec — l’annonce est tombée comme un coup de tonnerre.
À l’intérieur d’Urgences-santé, la réaction a été la stupeur. Plusieurs sources internes, non autorisées à s’exprimer publiquement, ont confié à La Dernière Ambulance que la nouvelle « a été une complète surprise — même pour la Directeur générale nouvellement nommée. »
Une demande d’accès pour remonter la trace
Le 6 novembre 2025, La Dernière Ambulance a déposé une demande d’accès à l’information demandant à Santé Québec de fournir tout document datant de janvier 2024 contenant le mot-clé Urgences-santé en lien avec :
planning d’intégration
analyse stratégique
scénarios de gouvernance
échanges entre hauts fonctionnaires au sujet d’une fusion
recommandations sur le rôle futur d’Urgences-santé
La demande était volontairement large et incluait une liste complète de mots-clés : « intégration, Loi 7, gouvernance, arrimage, structure administrative… »
Le 9 décembre 2025, Santé Québec a répondu.
Trois documents. Aucun plan. Aucun mémo. Aucun scénario.
Conclusion officielle : après une recherche complète, seulement trois documents ont été trouvés.
Pas trois études stratégiques.
Pas trois notes de breffage.
Pas trois mémos de planification.
Seulement deux courriels — dont l’un envoyé après l’annonce de la loi, et un entente de gestion et d’imputabilité (EGI) signé à l'été 2025.
Si les documents transmis représentent réellement l’ensemble des échanges écrits, alors le gouvernement du Québec a restructuré tout un système médical d’urgence sans produire la moindre analyse écrite, le moindre plan, la moindre évaluation des risques ou le moindre scénario de gouvernance.
Document no 1 : silence jusqu’au 6 novembre – le lendemain de l'annonce de la Loi 7
Le dossier d’accès à l’information inclut un courriel du bureau du PDG d’Urgences-santé à Santé Québec, daté du 6 novembre 2025 à 14 h 17, demandant une rencontre entre :
Caroline Barbir, présidente du CA, Urgences-santé
Michel Garceau, PDG, Urgences-santé
Geneviève Biron, PDG, Santé Québec
Christiane Germain, Vice-présidence, Santé Québec
Objet de la rencontre : discuter de la Loi 7.
Il n’y a aucune trace de communication entre les deux organisations avant que la Loi 7 ne soit rendue publique.
Document no 2 : accusé de réception — rien de plus
Le second document est simplement un accusé de réception de Santé Québec confirmant que la demande de rencontre a été reçue.
Aucune note de breffage.
Aucun plan d’intégration.
Aucun document préparatoire.
Aucune analyse interne.
Aucun mémo stratégique.
Pour une fusion institutionnelle de cette ampleur, cette absence est stupéfiante.
Mais qu’en est-il de l’EGI?
Le seul autre élément transmis était l’Entente de gestion et d’imputabilité (EGI) 2025–2026 entre le MSSS, Santé Québec et Urgences-santé.
Ce document, signé à l’été 2025 n’est pas un plan de fusion. C'est une entente annuelle standard de reddition de comptes qui précise les indicateurs, responsabilités, attentes et cibles habituelles.
Il ne contient aucune mention : de la dissolution d’Urgences-santé; d’un changement de gouvernance; de la transformation législative imminente.
L’EGI montre ce que le gouvernement attendait d’Urgences-santé.
La réponse en accès montre ce que le gouvernement n’a pas planifié avec Urgences-santé.
Ensemble, ils révèlent une fusion non coordonnée, non discutée et non préparée.
Un séisme politique sans sismographe
Si la réponse à la demande d’accès est complète — et rien n’indique le contraire — alors entre janvier 2024 et l’automne 2025, le gouvernement du Québec a produit : zéro analyse d’intégration; zéro document de planification; zéro scénario de gouvernance; et zéro échange écrit avec la direction d’Urgences-santé au sujet d’une fusion.
La première et seule demande de rencontre documentée survient après l’annonce publique.
Ce niveau d’opacité institutionnelle soulève des questions majeures de : gouvernance; reddition de comptes; gestion des risques en sécurité/santé publique; et responsabilité ministérielle envers la continuité des services essentiels.
Les systèmes médicaux d’urgence ne tolèrent pas l’improvisation.
Et pourtant, selon les documents obtenus, une composante majeure du système a été réorganisée sans laisser de trace écrite.
À l’intérieur d’Urgences-santé :
“Nous l’avons appris en même temps que tout le monde.”
Les sources internes ont été unanimes : aucun breffage confidentiel; aucun comité de transition; et aucun signal d’alerte.
« S’il y a eu des discussions, elles ne nous ont pas impliqués. L’annonce a été une complète surprise. »
« La majorité de la haute direction du QG l’a appris en voyant les manchettes à la télévision. »
La réponse en accès corrobore leurs témoignages.
Pourquoi c’est important
Depuis des décennies, le Québec débat de la modernisation du système préhospitalier d’urgence.
Urgences-santé, avec tous ses défauts, demeure l’une des seules agences urbaines spécialisées au Québec; un système vaste et complexe; et responsable de 40 % des appels d’urgence de toute la province.
Absorber cette organisation sans plan documenté laisse entrevoir trois possibilités: Il n’y avait pas de plans; il y avait des plans, mais ils n’ont pas été partagés, même sous accès à l’information; ou il y avait des plans, mais ils n’ont jamais été formalisés.
Chaque scénario est profondément inquietant.
Les services médicaux d’urgence ne peuvent être gérés par improvisation, tradition orale ou décisions politiques de dernière minute.
Conclusion : le silence est l’histoire
L’accès à l’information ne peut révéler ce qui n’existe pas.
Ici, ce qui n’existe pas semble être l’ensemble du travail préparatoire normalement requis pour une fusion touchant :
1 700 employés; un service essentiel; et l’unique agence préhospitalière couvrant plus de 2 millions de Québécois.
Si le gouvernement a restructuré Urgences-santé sans analyse, c’est un échec de gouvernance. S’il a effectué des analyses mais les a retenues, c’est un échec de reddition de comptes. S’il a effectué des analyses mais ne les a jamais écrites, c’est un échec institutionnel.
Dans tous les cas : Le silence est assourdissant.