OPINION : Quand Montréal perdra le contrôle de son service préhospitalier d’urgence
Avec la mise en œuvre de la Loi 7, le service préhospitalier d’urgence de Montréal et de Laval passera sous la gouverne de Santé Québec, rompant ainsi le dernier lien de gouvernance locale, sans pour autant l’intégrer à un système provincial véritablement cohésif.
Ailleurs au pays, certaines grandes villes — comme Vancouver, Calgary et Halifax — disposent elles aussi de services préhospitaliers d’urgence centralisés. Toutefois, ils s’inscrivent dans des provinces dotées de systèmes entièrement intégrés, où la planification, la formation, la supervision médicale et la reddition de comptes suivent une logique unifiée à l’échelle provinciale.
Au Québec, c’est tout l’inverse : on retire le contrôle local sans offrir de structure cohérente en retour. Montréal ne rejoindrait pas un système intégré ; elle serait simplement absorbée dans un appareil administratif qui, déjà, peine à reconnaître l’existence même du préhospitalier.
Et la réforme devient plus déroutante encore : le projet de Loi 7 ne touche que Montréal et Laval. Urgences-santé, déjà un organisme parapublic, sera absorbée par Santé Québec — la société d’État chargée de l’exploitation des services de santé — tandis que le reste du Québec restera pris avec un vrai méli-mélo : coopératives à but lucratif, compagnies privées et quelques OBNL. Un système bricolé au fil des années, sans fil conducteur. Deux systèmes. Une seule province.
Ce que change vraiment la centralisation
La réforme ne vise pas à piloter les opérations au jour le jour ni à dicter les décisions tactiques à la minute près. Elle s’empare toutefois du levier stratégique : priorités budgétaires, gestion des risques, allocation des heures de service, paramètres de performance, gouvernance et reddition de comptes. Autrement dit, qui décide du cadre dans lequel les opérations se déroulent — et qui répond quand ce cadre produit des angles morts. Or, ces arbitrages sont précisément ceux où la connaissance intime du terrain montréalais et lavallois pèse le plus.
Le déficit démocratique
Le conseil d’administration d’Urgences-santé, déjà affaibli, serait dissous.
Présentement, ce conseil compte douze membres issus de divers horizons* — milieux communautaire, municipal, universitaire, médical et paramédical — dont un siège représentant les usagers. Ce modèle, imparfait mais pluraliste, garantissait au moins que les grandes orientations du service soient débattues à la lumière de plusieurs réalités locales : la complexité urbaine de Montréal, les particularités de Laval, les enjeux de santé publique et la voix des patients eux-mêmes. *(Source : Urgences-santé, composition du conseil d’administration, consultée en novembre 2025.)
Avec la réforme, ces voix disparaîtront. Les citoyennes et citoyens de Montréal et Laval n’auraient plus aucun représentant ni interlocuteur pour débattre de priorités locales.
Santé Québec déciderait à huis clos, au nom d’une efficacité budgétaire abstraite. Mais qui rendra des comptes lorsque le prochain délai fatal fera la une ?
Ce que Montréal et Laval risque de perdre
Au-delà des organigrammes, il s’agit de capacité d’agir. Une métropole qui ne peut plus définir ses objectifs, ajuster ses moyens, ni exiger publiquement des résultats adaptés à son tissu urbain renonce à une part de sa sécurité collective.
On n’abolit pas la responsabilité locale ; on la délocalise — et, avec elle, la mémoire des erreurs, des leçons apprises et des innovations nées du terrain.
Les systèmes ne meurent pas d’un coup ; ils s’éteignent lentement, quand plus personne ne se souvient pourquoi ils avaient été créés.
- HN