Opinion: Revisiter — encore une fois — la géographie de la douleur
Dans son Infolettre de décembre 2025, le gouvernement souligne fièrement, à la page 7, le « déploiement d’outil (protocole Fentanyl) permettant le soulagement des patients ».
Présenté comme un progrès provincial, on pourrait croire que l’accès à un analgésique moderne et efficace est maintenant chose réglée à travers tout le réseau préhospitalier.
Mais cette affirmation est profondément trompeuse.
Parce que la géographie de la douleur, elle, ne ment jamais.
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Un protocole “déployé” qui, dans les faits, ne l’est pas
Pour les 2,2 millions de personnes desservies par Urgences-santé, le fentanyl n’est pas un outil accessible à l’ensemble des paramédics.
Il n’est pas un médicament « disponible » comme on le laisse entendre.
En réalité, à Montréal et Laval, le fentanyl est exclusivement administré par les paramédics en soins avancés (PSA) — un groupe restreint, dont la couverture est partielle et dépendante des ressources du moment.
Ce que ça signifie concrètement :
La question n’est pas : avez-vous mal ?
Mais plutôt : un PSA est-il libre, proche et assigné à votre appel ?
Votre accès à un soulagement efficace dépend :
de la disponibilité d’une unité PSA,
de la façon dont votre appel est trié,
de la durée des interventions en cours,
et d’un peu de chance géographique.
Ce n’est pas un modèle clinique.
C’est une loterie territoriale de la douleur.
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Un “progrès provincial” qui masque une inégalité régionale majeure
Dans plusieurs régions du Québec, le fentanyl être offert aux paramédics de soins primaires.
À Montréal + Laval, c’est l’inverse : la région la plus populeuse, celle qui concentre le plus haut volume d’appels, demeure celle où la population a le moins accès à une prise en charge moderne de la douleur.
Et rien, absolument rien, dans l’Infolettre ne le dit.
Rien n’indique que ce « déploiement » ne s’applique pas à l’ensemble des paramédics de la métropole.
Rien ne précise que la majorité des citoyens — malgré un document gouvernemental au ton triomphaliste — ne recevra pas de fentanyl en cas de douleur aiguë.
La douleur n’est pas théorique — elle est vécue
Elle se vit dans des escaliers trop étroits, sur un plancher glacé, dans un logement mal isolé, dans le trafic de l’autoroute Métropolitaine, dans un corridor bondé ou une salle d’attente saturée.
Elle se vit minute après minute, sans pause.
Quand une communication gouvernementale laisse croire que « le fentanyl est déployé », sans expliquer que Montréal + Laval demeure à l’écart de cette avancée, elle transforme une réalité complexe en illusion de progrès.
Et surtout, elle invisibilise les paramédics qui doivent encore gérer des douleurs atroces avec un arsenal incomplet.
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Dire la vérité : le travail n’est pas fait
Un portrait réaliste aurait dû :
distinguer les régions où tous les paramédics disposent du fentanyl et celles où ce n’est pas le cas; expliquer pourquoi Montréal n’a pas accès à la même modernisation; donner un échéancier clair pour corriger cette inégalité; et chiffrer la part de la population encore exclue d’un soulagement adéquat.
La géographie de la douleur, en 2025, ne correspond pas à ce que laisse entendre le document gouvernemental.
Et tant qu’on présentera comme « déployé » un protocole dont l’accès à Montréal + Laval demeure limité à une poignée d’PSA, rien ne changera.