Paramédics : l’autre crise qu’on refuse de voir

(05-05-2025 English version follows the French)
Pendant que la crise hospitalière fait la une, le système préhospitalier d’urgence continue de s’enliser dans le silence
Chaque fois qu’une ambulance arrive, une histoire commence — souvent dramatique, parfois tragique, mais toujours urgente. Pourtant, au Québec, les histoires des paramédics et du réseau préhospitalier n’atteignent presque jamais la sphère politique ou médiatique. Elles s’éteignent, comme tant d’appels au 911, dans un silence administratif.
Et pendant ce temps, le système s’effondre.
La crise à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (HMR) a suscité un tollé justifié : gestion déficiente, surcharge chronique, personnel au bord de l’épuisement, renovation ou reconstruction? Le ministre a dû réagir. Les caméras ont afflué. Les éditoriaux se sont multipliés.
Mais où sont les caméras quand un seul paramédic couvre un territoire rural de 150 kilomètres ? Quand des équipes commencent leur quart sans savoir si elles auront droit à un repas ? Quand une patiente attend une ambulance pendant 45 minutes, faute de ressources disponibles ?
La vérité est brutale : la souffrance du système préhospitalier ne scandalise plus. Elle est devenue banale. Invisible.
Ce manque de visibilité s’explique. Les hôpitaux sont des lieux fixes, symboliques, avec des corridors à filmer, des visages à interviewer. Les paramédics, eux, sont mobiles, éparpillés, isolés. Il n’y a pas de hall d’entrée surchargé à montrer. Juste une radio qui grésille et des équipes qui enchaînent les appels, souvent sans pause, souvent sans reconnaissance.
Et pourtant, ces équipes sont les premières sur les lieux. Les premières à évaluer, à soulager, à intervenir. Ce sont des professionnels de la santé — compétents, compatissants, cruciaux. Mais au Québec, ils ne sont toujours pas reconnus comme tels.
Pas d’ordre professionnel. Pas d’autonomie clinique réelle. Toujours soumis à un modèle de délégation médicale conçu pour une autre époque. Résultat : même les paramédics les plus expérimentés, formés pour gérer des situations complexes, doivent constamment demander la permission pour agir.
Imaginez une infirmière qui devrait téléphoner à un médecin pour administrer du fentanyl dans une situation de douleur aiguë. Ce serait impensable. C’est pourtant la réalité quotidienne de centaines de paramédics québécois.
Pourquoi ce silence ?
Parce qu’il n’y a pas de coupable unique. La crise des soins préhospitaliers est systémique. Elle résulte de décennies d’inaction politique, de décisions fragmentées, de choix budgétaires à courte vue. Il n’y a pas de scandale éclatant, juste une lente érosion.
Et surtout : il n’y a pas de gain politique rapide à défendre les paramédics. Pas de ruban à couper. Juste un réseau à réimaginer — un travail ardu, complexe, essentiel.
La solution ne viendra pas d’un simple ajout de budgets ou de véhicules. Ce qu’il faut, c’est un changement de paradigme.
Il faut reconnaître que les paramédics ne sont pas des chauffeurs de civière. Ce sont des clinicien.nes formé.e.s, capable d’intervenir dans des contextes aussi variés que l’insuffisance cardiaque, la crise psychosociale ou les soins palliatifs à domicile. Il faut leur donner les outils, la reconnaissance et l’autonomie nécessaires pour exercer pleinement leur rôle.
Il faut aussi revoir le modèle de gestion des services ambulanciers : cesser de mesurer les performances en heures de couverture et commencer à les mesurer en soins réellement livrés. Donner aux régions les moyens de retenir leur personnel. Et surtout, écouter ceux et celles qui vivent cette réalité sur le terrain.
Les urgences hospitalières attirent l’attention — et elles doivent le faire. Mais il est temps de reconnaître que les urgences commencent bien avant les murs d’un hôpital. Elles commencent dans une cuisine, sur une route de campagne, dans un sous-sol humide.
Et à ce moment-là, la personne qui répond, c’est un.e paramédic.
Ne laissons pas ce système mourir à petit feu simplement parce qu’il est trop discret pour faire du bruit.
Paramedics: The Other Crisis We Refuse to See
While the hospital crisis dominates headlines, Quebec’s emergency prehospital care system continues to collapse in silence.
Every time an ambulance pulls up, a story begins — often dramatic, sometimes tragic, but always urgent. And yet in Quebec, the stories of paramedics and the prehospital emergency system rarely make it into political discourse or media coverage. Like so many 9-1-1 calls, they vanish into bureaucratic silence.
Meanwhile, the system is falling apart.
The crisis at Maisonneuve-Rosemont Hospital (HMR) sparked a justified uproar: mismanagement, chronic overload, staff on the brink of collapse, renovation or reconstruction? The health minister was forced to respond. Cameras rolled. Editorials poured in.
But where are the cameras when a single paramedic is covering a 150-kilometre rural zone? When teams start their shifts without knowing if they’ll get a meal break? When a patient waits 45 minutes for an ambulance because none are available?
The truth is blunt: the suffering in the prehospital care system no longer shocks. It has become normalized. Invisible.
This invisibility has its reasons. Hospitals are fixed, symbolic places — you can film crowded hallways and interview exhausted staff. Paramedics are mobile, scattered, often isolated. There’s no ER corridor to dramatize. Just a crackling radio and teams bouncing from call to call — often without pause, often without recognition.
Yet these teams are the first to arrive. The first to assess, relieve, act. These are health professionals — skilled, compassionate, indispensable. But in Quebec, they are still not officially recognized as such.
No professional order. No real clinical autonomy. Still bound to a medical delegation model from another era. The result? Even the most seasoned paramedics, trained to handle complex emergencies, must constantly ask permission before intervening.
Imagine a nurse having to phone a doctor to administer fentanyl during a severe pain crisis. Unthinkable. Yet that’s the daily reality for paramedics across Quebec.
Why the silence?
Because there’s no single villain to blame. The prehospital crisis is systemic. It’s the product of decades of political neglect, fragmented decision-making, and budget choices made with short-term optics. There’s no scandal to exploit — just slow erosion.
And more importantly: there’s no quick political win in championing paramedics. No ribbon to cut. Just a system that needs to be re-imagined — hard work, complex, but essential.
The solution isn’t just more money or more ambulances. What’s needed is a shift in mindset.
We must stop seeing paramedics as stretcher drivers. They are trained clinicians capable of managing everything from heart failure to mental health crises to end-of-life care at home. They need the tools, the recognition, and the autonomy to fully step into that role.
We also need to overhaul how ambulance services are managed: stop measuring success in hours of coverage, and start measuring it in actual care delivered. Give regions the resources to retain staff. And above all, listen to those living this reality every day.
Hospital emergencies attract attention — and rightly so. But we must recognize that emergencies don’t begin inside hospital walls. They start in kitchens, on rural roads, in damp basements.
And when they do, the person who responds is a paramedic.
Let’s not allow this system to quietly die simply because it doesn't make enough of the noise that captures the attention of the mainstream media or policy-makers.