Quand la sirène ramène à la maison. Un choc impossible à imaginer.

Quand la sirène ramène à la maison. Un choc impossible à imaginer.

En 2017, Radio-Canada rapportait l’histoire bouleversante d’Olivier Mireault, paramédic à Rawdon, dans Lanaudière.

Le 22 novembre 2016, il venait d’arriver au travail lorsqu’il a entendu sur les ondes radio un appel pour un arrêt cardiorespiratoire. Il a reconnu immédiatement l’adresse : celle de sa mère.

Voyant qu’ils étaient plus près que l’autre équipe dépêchée sur les lieux, son coéquipier et lui ont décidé de répondre à l’appel, même si leur quart n’avait pas encore officiellement commencé.

À 8 h 00 et 13 secondes, ils étaient en fonction depuis à peine treize secondes.

Elle est morte, victime d’une rupture d’anévrisme de l’aorte. Elle avait 63 ans, en bonne santé, sans antécédents.

Quelques semaines plus tard, son médecin lui a diagnostiqué un syndrome de stress post-traumatique. Mais la CNESST a refusé de l’indemniser, estimant que l’événement n’était pas survenu « pendant » son quart de travail.


Huit ans plus tard

Hier après-midi, dans l’auditorium du Cégep Ahuntsic, le même paramédic a pris la parole. Invité par La Vigile, un organisme de soutien psychologique pour les intervenants d’urgence, Olivier s’est assis sur la scène aux côtés de Brian, un policier venu raconter lui aussi comment il avait un jour eu besoin de l’aide de La Vigile, et de Lydia, l’une des coordonnatrices de l’organisme. Devant eux, une salle remplie d’étudiants en Techniques policières et en Soins pré-hospitaliers d’urgence.
Sa voix est restée calme. Son regard, droit.
Mais ses mots… ses mots ont figé la salle.


TÉMOIGNAGE — Olivier Mireault

« À mon tour là… Vous êtes chanceux qu’il y ait du monde qui viennent en avant ici venir vous parler. Moi j’ai fait mon cours ici en 2001. Dans ce temps-là, les profs disaient : protège ton dos. Aujourd’hui, on dit : protège ta tête aussi, parce que tu vas travailler toute ta vie avec ta tête. »

Il parlait sans notes, simplement, comme à des collègues.
« On pense toujours que ça arrive aux autres. Moi, c’est ça qui m’est arrivé : je me disais tout le temps – à moi, ça arrivera pas. J’étais au-dessus de tout ça. »

Puis il a raconté : le matin du 22 novembre 2016, il venait d’arriver au travail quand il a reconnu l’adresse d’un appel pour arrêt cardiorespiratoire.
« C’était chez ma mère. »
Il a pris le moniteur, sauté dans le camion, roulé sur le verglas.
« C’est moi qui est arrivé en premier. Ma mère était effectivement en arrêt cardiaque… Cette journée-là, elle s’est jamais réveillée. »
Sa voix s’est brisée : « Mon monde s’est écroulé : ma vie professionnelle, ma vie personnelle. »

Pendant des mois, il s’est battu pour faire reconnaître son syndrome de stress post-traumatique.
À l’époque, explique-t-il, « le PTSD, c’était réservé aux militaires. Nous autres, on voyait pas d’horreurs. »
Mais il a tenu bon : « Je me suis battu avec le peu de force que j’avais. Si t’as encore un peu de force pour te battre, bats-toi pour toi, mais bats-toi aussi pour les autres. »

Il a fini par retourner travailler. « Punch in, punch out. »
La passion n’y était plus.
En 2023, c’est son père qu’il a dû réanimer.
« Papa, c’est une ostie de belle journée père-fils au travail. »
Il a ri. Puis s’est effondré. Olivier l’a ramené.
« Mon père va super bien aujourd’hui. »

Mais lui, il allait de plus en plus mal.
« Les idées noires, la souffrance… On souffre d’un mal invisible. Souvent, j’aurais voulu avoir les deux jambes cassées. Parce que ça, tu le vois. Mais le PTSD, personne le voit. »

Il a fini par appeler La Vigile, puis reporter sa venue. Trop de raisons, trop de fêtes. « J’ai dit : je suis pas si malade que ça. J’aurais dû y aller. »

Quelques mois plus tard, il n’avait plus la force de reculer.
« Un beau matin de janvier, j’avais ma date d’entrée à La Vigile. »
Deux pieds de neige, l’envie d’abandonner. Sa femme a appelé le déneigeur : ils sont partis.
« J’ai braillé tout le long. Tout ce que je voulais, c’était sacrer dans un poteau. »

À La Vigile, il s’est rebellé d’abord.
« Première journée, ça a mal été. Deuxième, j’ai dit : faudrait peut-être que je fasse un effort. Troisième journée, j’ai cassé. »
Et lentement, il a recommencé à vivre.
« Au début, j’y croyais pas. Lydia m’a appelé “le leader négatif” jusqu’à temps qu’elle me dise : wake up ! T’es ici, aide-toi, soigne-toi. »

« La Vigile, ça nous aide à se comprendre nous-mêmes. Moi, je disais à mes enfants : je suis à l’école des émotions. »

Trente jours plus tard, il est sorti.

« Trente jours, c’est fucking long, mais trente jours, c’est fucking beau aussi. J’avais ma femme et mes enfants qui m’attendaient sur le perron avec des pancartes pis des roses. »

Il sourit : « Jamais je vais mourir, parce qu’il y a rien qui va me faire perdre cette image-là. »

Aujourd’hui, il ne monte plus dans l’ambulance, mais son uniforme reste suspendu dans son cœur.
« Je vais bientôt signer les papiers de la CSST comme quoi je serai invalide au travail pour le reste de ma vie. Mais dans mon cœur, je vais toujours rester paramédic. »

Il a levé les yeux vers les étudiants.
« Vous êtes chanceux, vous avez tout l’avenir devant vous. N’oubliez pas quelque chose : prenez soin aussi de votre tête. »


Le poids et la lumière

C’est difficile de décrire la réaction dans la salle après ces mots.
Ce n’était pas un silence vide. C’était un silence habité, respectueux.
Celui d’une génération d’étudiants — policiers et paramédics en devenir — qui découvraient qu’on peut être fort, sauver des vies, et quand même avoir besoin qu’on vous tende la main.

La Vigile, qui offrait cette conférence, n’est pas un simple organisme : c’est une maison de répit, de soin et de renaissance pour les intervenants d’urgence.

Et le Cégep Ahuntsic mérite aussi d’être salué.
Offrir ce type de programmation à ses étudiants en Techniques policières et en Soins pré-hospitaliers d’urgence, c’est bien plus qu’un geste symbolique.

C’est une manière de leur dire, avant même le premier appel : votre santé mentale compte autant que vos compétences techniques.

Il y a des récits qu’on ne devrait pas devoir raconter deux fois.
Olivier Mireault l’a fait, avec la même droiture tranquille que celle d’un soignant qui, malgré tout, répond encore à l’appel.

La Vigile : 1 888 315-0007
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