Réimaginer le système de soins préhospitaliers d’urgence (SPU)
À un moment donné, il va falloir allumer collectivement.
Tous les appels au 9-1-1 ne nécessitent pas une ambulance.
Et toutes les réponses ambulancières ne nécessitent pas un transport.
Faire semblant que oui, c’est exactement comme ça qu’on a rendu le système insoutenable.
Au Québec, on continue de fonctionner comme si le 9-1-1 était une chaîne automatique :
appel → ambulance → urgence.
Ce modèle date d’une autre époque. Il ne correspond plus à la réalité terrain.
Aujourd’hui, le 9-1-1 reçoit de tout : vraies urgences médicales, détresse psychosociale, situations chroniques, problèmes d’accès aux soins, appels institutionnels, appels par défaut. Et on continue trop souvent de répondre à tout ça avec la même ressource.
Le problème, ce n’est pas que les paramédics n’en font pas assez.
Le problème, c’est qu’on leur demande de tout faire.
Il faut remettre une chose au clair.
Une ambulance n’est qu’un véhicule. Une plateforme.
Ce sont les paramédics qui sont la ressource clinique.
Le système raisonne encore comme si la présence d’une ambulance réglait le problème en soi.
Mais une ambulance sans besoin clinique n’apporte rien.
Des paramédics mobilisés inutilement, eux, coûtent cher — en disponibilité, en couverture territoriale, et en délais pour les vraies urgences.
Quand on envoie une ambulance là où aucune intervention clinique urgente n’est requise, on ne rend pas service :
on retire une équipe du territoire,
on affaiblit la réponse globale,
et on augmente le risque pour le prochain appel critique.
Les paramédics ne sont pas des chauffeurs.
Ce sont des cliniciens mobiles, formés pour évaluer, traiter et décider.
On a pourtant commencé à reconnaître cette réalité sur papier :
coévaluation (COEV), libération rapide de l’usager (LRU), refus de transport, (RÉOR). Mais dans les faits, on continue d’envoyer des ambulances même quand ce n’est pas nécessaire — par réflexe, par crainte, ou pour éviter les plaintes.
Résultat :
– des ambulances utilisées comme taxis médicaux,
– des équipes coincées en transport non urgent,
– des délais qui explosent pour les vraies urgences.
Quelques évidences qu’on évite encore de dire trop fort :
1️⃣ LRU ne devrait jamais vouloir dire “ambulance-taxi”.
Si un patient n’a pas besoin de soins préhospitaliers urgents, ce n’est pas aux paramédics d’assurer son transport vers l’hôpital.
2️⃣ Après une COEV, si un patient refuse les alternatives (RÉOR) mais insiste pour aller à l’urgence sans nécessité clinique,
👉 ce n’est pas une urgence ambulancière.
Vouloir aller à l’hôpital ne crée pas, à lui seul, un droit à l’ambulance.
3️⃣ La surpriorisation est devenue un réflexe défensif.
Des P1 sans patient sur place.
Des P3 attribués à des P4-7 parce que personne ne répond au téléphone.
Des appels institutionnels qui mobilisent des ressources d’urgence sans urgence réelle.
À force de vouloir être partout, pour tout le monde, tout le temps,
on finit par ne plus être là quand ça compte vraiment.
La viabilité du système ne passera ni par des slogans ni par des demi-mesures.
Elle passera par une chose inconfortable mais nécessaire :
accepter que l’ambulance n’est pas toujours la bonne réponse.
Et surtout, accepter que la valeur du SPU ne réside pas dans le déplacement des véhicules, mais dans le jugement clinique des paramédics.
Changer cette perception — à l’interne, dans les structures mêmes du SPU — demandera un véritable saut de foi et d’imagination. Imaginer un système où on fait confiance au discernement clinique, où on ose dire non quand il le faut, et où on protège les ressources pour les moments où elles sont réellement nécessaires.
Sans ce virage, on continuera d’épuiser les paramédics…
et de fragiliser le système, appel après appel.