Un remorqueur raconte...
"C’est être témoin de ce qui reste après les décisions des gens : bonnes ou mauvaises"
Un remorqueur raconte — avec ses propres mots — la réalité dangereuse et trop souvent invisibilisée des interventions autoroutières.
« Ça fait environ 2 ans et demi que je suis dans le remorquage. À la base, je suis en informatique depuis maintenant 19 ans, c’est encore mon domaine principal aujourd’hui. Mais la mécanique m’a toujours intéressé, tout comme le côté sécurité / santé / secours… »
Une compagnie spécialisée dans l’exclusif autoroutier lui a donné sa première chance :
« Une compagnie très connue dans l’exclusif sur la rive nord de Montreal en remorquage m’a donné ma première chance et m’a tout appris. »
Aujourd’hui, il travaille plus au nord. « Et beaucoup plus technique selon les situations. »
Se voir comme premier répondant — même sans reconnaissance formelle
Q — Te considères-tu comme faisant partie de la communauté des premiers répondants?
R — « Honnêtement, oui, je me considère comme faisant partie de la grande famille des premiers répondants, même si officiellement on n’est pas reconnus comme tels. »
Les tâches dépassent largement le simple remorquage :
« Quand on arrive, c’est tout de suite de la coordination : se placer pour protéger la scène et éviter un deuxième accident, aider à gérer la circulation, suivre les consignes des services d’urgence, rester disponible pour donner un coup de main là où ça presse. »
Ce qui le secoue le plus?
« Ce qui vient me toucher le plus, c’est quand je vois un banc de bébé en arrière. Là, tu réalises vite qu’on ne manipule pas juste de la tôle, mais des morceaux de vie. »
Ce que les autres intervenants devraient mieux comprendre
Sa collaboration avec pompiers et policiers est en général excellente :
« Sur les interventions, les pompiers et les policiers m’ont presque toujours aidé, respecté mon rôle et protégé pendant que je travaillais. On sent qu’on fait partie de la même équipe, avec le même objectif : que tout le monde retourne chez eux en vie. »
Mais il vit un écart important entre la loi et la réalité :
« Sur papier, le corridor de sécurité a été mis en place pour nous protéger, mais dans les faits, beaucoup de conducteurs s’en foutent complètement. Ils ne ralentissent pas, ne se tassent pas. »
Sa question centrale :
« Comment on fait pour changer une loi… pour vraiment protéger les pères, mères, enfants, familles qui sont derrière le volant des véhicules d’intervention? Parce qu’au bout de la ligne, ce n’est pas le camion qu’on protège, c’est l’humain qui est à côté, en train de travailler. »
Ce qu’il faudrait pour mieux travailler et mieux se protéger
Q — Qu’est-ce qui te rendrait plus efficace et plus en sécurité?
R — « Ce qui m’aiderait vraiment, ce serait moins ‘une autre formation sur papier’ et davantage : un vrai système de communication et de coordination… un canal radio ou un protocole clair où les remorqueurs peuvent demander une protection rapide. »
Il propose une idée forte :
« Pourquoi ne pas aller vers un concept de “remorqueur premier répondant”? »
Avec des bénéfices clairs :
« Qu’on soit appelés et protégés plus rapidement; qu’on soit mieux coordonnés; qu’on arrête de nous voir seulement comme un service après-coup. »
Ce qui rendrait les scènes plus sécuritaires
« Ce qui rendrait vraiment les scènes plus sécuritaires, c’est surtout du concret sur le terrain. »
Il identifie trois éléments essentiels :
Application réelle de la loi
« Beaucoup de conducteurs ne le respectent pas… Il faudrait que ce soit vraiment pris au sérieux : plus de présence policière, plus de constats, plus de tolérance zéro. »
Protection rapide et visible
« Fermer ou bloquer une voie rapidement… se placer de façon à nous protéger réellement… utiliser panneaux, flèches lumineuses, fusées éclairantes. »
Coordination immédiate
« Quand j’arrive… un simple 30 secondes de plan de match change tout. »
Au final :« On sente qu’on est vraiment une équipe au complet à protéger la même chose : des vies humaines, pas seulement des véhicules. »
Les appels qui marquent — pour toujours
Il se souvient d’une scène en particulier :
« Arriver sur un accident majeur… tu ouvres la porte du véhicule, tu vois l’impact, les airbags, le sang parfois… et en arrière tu vois un banc de bébé. Ça change quelque chose en dedans. »
Et il revient à un fléau trop connu :
«Un autre aspect qui m’a marqué, c’est de voir à quel point l’alcool au volant détruit des vies. Souvent, ça part d’un “ben non, je suis correct, je ne suis pas si pire que ça pour conduire”. Sauf que nous, on voit le résultat de ce “je suis correct là”. On voit les véhicules scrap, les scènes d’impact, les familles brisées derrière. Et ça, ça finit par te tanner solide de cette mentalité-là. »
Décrocher… ou essayer
« Sur le coup, tu n’as pas vraiment le choix. Tu finis la scène… tu te mets en mode “procédure”. »
Une fois à la maison :
« Ce qui m’aide, c’est surtout la routine : revenir à des choses simples, prendre une douche, manger… gamer un peu… juste laisser retomber la pression. »
Mais certaines images ne partent jamais :
« Ça, tu ne l’effaces pas. Tu apprends à le ranger dans ta “boîte mentale”… mais ça fait maintenant partie de toi. »
Il souligne le manque de ressources :
« Je pense qu’on manque de soutien structuré dans le remorquage. On vit des choses qui ressemblent à ce que voient les policiers, paramédics, pompiers, personnel médical, mais sans avoir forcément l’accès au même genre d’aide ou de ressources. Alors, on fait avec ce qu’on a: nos petites routines, notre capacité à compartimenter, et le sentiment qu’au moins, cette journée-là, on a fait ce qu’il fallait comme il faut. »
La collaboration idéale — celle qui sauve des vies
« Dans les meilleurs moments, ça ressemble à ça : quand j’arrive sur la scène, police ou pompiers prennent 20–30 secondes pour me briefer vite fait. »
Puis :
« Ils vont souvent bloquer une voie… se placer derrière moi… utiliser leurs véhicules, leurs gyrophares, leurs flèches, leurs flare pour que je sois vraiment visible... déplacer les personnes impliquées en lieu sûr. »
Et de son côté :
« Je ne bouge rien tant que les paramédics n’ont pas fini avec les blessés… j’attends le “ok” avant de manipuler le véhicule. »
Le moment qui reste :
« Un pompier ou un policier qui te regarde à la fin et te dit “merci, bonne soirée, fais attention à toi”. Ça te fait sentir que tu n’es pas juste “le gars du towing”. »
La vérité simple : il tient la ligne
Sur le bord d’une autoroute au Québec, dans la neige, la pluie, la noirceur, il travaille dans le même danger que les autres intervenants — parfois avant eux, souvent sans eux.
Et trop souvent, sans reconnaissance.