Les Chroniques du silence, Épisode 1

English version follows the French.
Aujourd’hui, nous publions un texte rare. Fort. Silencieux et percutant à la fois.
Son auteur restera anonyme. Comme il nous l’a dit : « Ce n’est pas la personne qui compte, mais la puissance des mots. »
C’est la première chronique de cet enseignant-paramedic qui, comme moi, croit profondément au concept de Big Medicine : les bonnes personnes, au bon moment, pour faire de grandes choses.
Je termine souvent mes textes par « Sois bien. Pratique la Big Medicine. » C’est ma façon à moi de dire Sawubona — je te vois. Je vois ton engagement, ton humanité, et le bien que tu fais autour de toi.
Prenez le temps de lire cette chronique. De l’entendre, vraiment. Elle en vaut chaque mot.
— HN, La Dernière Ambulance
Les Chroniques du silence
Donnons une voix à cette masse silencieuse.
Je suis enseignant, mais avant tout, je suis un paramédic.
Ma carrière m’a mené à travers plusieurs visages de ce métier – sur le terrain, dans les coulisses, dans les combats, et maintenant en salle de classe.
Pendant trop longtemps, j’ai moi-même observé en silence.
J’ai vu des collègues s’effondrer sans bruit, des passions s’éteindre à force de ne pas être nourries, et des appels se succéder comme si chaque vie pesait le même poids… ou aucun.
Aujourd’hui, je choisis de faire écho.
De prêter ma voix à ceux qu’on entend trop peu dans le monde préhospitalier québécois.
À travers ces Chroniques du silence, je veux tenter – un mot à la fois – d’humaniser la pratique paramédicale.
Rappeler que derrière chaque protocole, chaque uniforme et chaque ligne de code 10, il y a un être humain.
Un cœur qui bat. Un doute qui gronde. Une force qui vacille parfois.
Ce n’est ni un manifeste, ni un cri.
C’est un murmure, tenace et sincère.
Un espace pour réfléchir, se reconnaître, et peut-être, recommencer à espérer.
Les Chroniques du silence
Épisode 1 — Le premier jour
On ne l’oublie jamais.
Ce premier matin où, pour la première fois, on porte l’uniforme en se demandant si on le mérite vraiment.
Le cœur bat plus vite.
Pas par excitation. Pas par hâte.
Mais parce qu’il sait déjà ce que la tête refuse de dire :
j’ai besoin d’être accompagné. J’ai besoin d’être rassuré.
Alors on révise.
L’ensemble des connaissances, les protocoles, les algorithmes.
On cherche, fébrilement, à se convaincre qu’on est prêt.
Et à peine arrivé, on est mis à l’épreuve.
Pas seulement sur ce qu’on sait. Mais sur qui on est.
Pendant les stages, et souvent encore durant les cinq premières années de carrière,
on est un « nouveau » plus d’une fois.
Et dans la rapidité de nos milieux, dans la cadence des appels,
on oublie parfois qu’on a, nous aussi, déjà été ce nouveau-là.
Il y a deux semaines, une étudiante a écrit un texte.
Un murmure devenu onde de choc.
Elle n’exercera jamais ce métier.
Pas parce qu’elle n’était pas faite pour ça,
mais parce qu’à force de se sentir seule, elle n’a plus cru qu’elle avait sa place.
Elle parlait d’un rêve.
Celui qu’on lui avait vendu.
Et de la réalité qui l’attendait, beaucoup plus rude, beaucoup plus froide, que ce qu’on lui avait laissé croire.
🧠 Et pourtant…
On dit que la médecine a changé.
Et c’est vrai.
Aujourd’hui, on cherche des médecins à la fois compétents et humains.
Les universités n’évaluent plus seulement les résultats, mais aussi la sensibilité, l’empathie, l’équilibre.
Et nous, dans le monde préhospitalier, où en sommes-nous ?
Transmettons-nous encore un rêve viable, ou un mythe impossible à incarner ?
Encadrons-nous les nouveaux pour qu’ils grandissent, ou les confrontons-nous à un mur qu’ils doivent escalader seuls ?
Voyons-nous encore la personne derrière l’étudiant, le cœur derrière le protocole ?
✍️ Alors j’écris pour elle.
Et pour tous ceux qui n’ont pas trouvé les mots.
J’écris pour rappeler que la compétence n’annule pas le doute.
Que la rigueur peut cohabiter avec la bienveillance.
Et que dans ce métier où on apprend à sauver,
il serait temps qu’on réapprenne à accueillir.
Un enseignant parmi d’autres, au service de ceux qu’on n’entend pas.
Pour éclairer ce que le silence enfouit.
— Les Échos de l’ombre
💬 The Chronicles of Silence — Episode 1
Today we’re publishing something rare. Quiet, yet deeply powerful.
The author will remain anonymous. As they told us: “It’s not about the person — it’s about the power of what’s in the words.”
This is the first column by a paramedic-turned-teacher who, like me, believes in the idea of Big Medicine — the right people, at the right time, doing something greater together.
I’ve often signed off with “Be well. Practice Big Medicine.”
It’s my personal way of saying Sawubona — I see you. I see your good work, your humanity, the difference you’re making in this world.
Take a moment to read this piece. Really read it. Every word matters.
— HN, The Last Ambulance
The Chronicles of Silence
Let’s give a voice to the silent majority.
I’m a teacher, but above all, I’m a paramedic.
My career has led me through many sides of this profession — in the field, behind the scenes, in struggles, and now in the classroom.
For far too long, I myself watched in silence.
I saw colleagues quietly fall apart, passions fade from lack of nourishment, and calls blur together as if every life carried the same weight… or none at all.
Today, I choose to reply.
To lend my voice to those we rarely hear in Quebec’s prehospital world.
Through these Chronicles of Silence, I want to try — one word at a time — to humanize paramedicine.
To remind people that behind every protocol, every uniform, and every 10-code, there is a human being.
A beating heart. A rising doubt. A strength that sometimes falters.
This isn’t a manifesto, nor a cry.
It’s a murmur — persistent and sincere.
A space to reflect, to recognize ourselves, and maybe, to begin hoping again.
The Chronicles of Silence
Episode 1 — The First Day
You never forget it.
That first morning when, for the very first time, you put on the uniform and ask yourself if you really deserve it.
Your heart beats faster.
Not out of excitement. Not from anticipation.
But because it already knows what your head refuses to say:
I need support. I need reassurance.
So you review.
Everything — knowledge, protocols, algorithms.
You try, anxiously, to convince yourself you’re ready.
And the moment you arrive, you’re put to the test.
Not just on what you know — but on who you are.
During internships, and often for the first five years of your career,
you’re “the new one” more than once.
And in the speed of our environments, in the relentless rhythm of the calls,
we sometimes forget that we, too, were once that new person.
Two weeks ago, a student wrote a piece.
A whisper that became a shockwave.
She’ll never work in this field.
Not because she wasn’t made for it,
but because after feeling so alone for so long, she stopped believing she belonged.
She spoke of a dream.
One she had been sold.
And of the reality that awaited her — much harsher, much colder than anyone had let her believe.
🧠 And yet…
They say medicine has changed.
And it’s true.
Today, we seek doctors who are both competent and human.
Universities now evaluate more than results — they look at empathy, emotional balance, and sensitivity.
And what about us, in prehospital care? Where do we stand?
Are we still passing on a viable dream — or an impossible myth?
Do we help new recruits grow — or do we throw them against a wall they must climb alone?
Do we still see the person behind the student, the heart behind the protocol?
✍️ So I write for her.
And for all those who couldn’t find the words.
I write to remind us that competence doesn’t cancel out doubt.
That professional rigour can coexist with kindness.
And that in this profession where we learn to save,
maybe it’s time we relearn how to welcome.
A teacher among many,
in service of those we don’t hear.
To shine a light on what silence buries.
— Echoes from the Shadows